Aller au contenu

Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mortifié par cette algarade, pour affirmer son autorité et montrer sa compétence, il appelle l’électricien et interrompt la répétition pour régler un éclairage. Hurlant et gesticulant, s’époumonant et jurant, je l’ai vu — je ne raconte rien que je n’aie vu — demander, dans une terminologie inusitée, des essais de lumières et de couleurs insoupçonnables ou ridicules. Passant des vociférations aux blasphèmes, il humilie l’homme de la lumière :

— Ce n’est pas ça. C’est du mauve que je veux. Du mauve, vous entendez, idiot ! Du mauve ou du lilas. Si vous ne comprenez pas !

La scène dure, la honte couvre les visages, et la pitié envahit les cœurs. Alors, excédé, dépassé par son propre mépris, se sentant investi de celui de tout le monde, l’électricien ôte sa casquette et, avec le plus pur accent parisien :

— Du lilas, monsieur ? Je regrette. Ce n’est pas la saison du lilas.

Ce même directeur connaît à peine la pièce qui se joue chez lui, mais, dans la salle vide, on peut le voir déambuler entre les rangs de fauteuils, les bousculant pour éprouver leur solidité. De temps en temps, il s’arrête devant un coin de tapis troué, il hoche la tête, et on l’entend à voix haute dire :

— Peuh ! c’est encore assez bon pour eux.

C’est lui qui, ayant engagé à deux cents francs par jour une vedette, se ravise, rappelle le comédien dans l’escalier, redemande le contrat qu’il vient de signer et,