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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/198

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« Je vais dire tout ce que je pense du grand acteur, M. X… Un charme émane de lui, c’est incontestable ; grand, le geste juste, l’élocution claire, l’articulation nette même quand il parle bas, il ajoute au charme de la vigueur. Néanmoins, je ne suis pas sans inquiétude quant aux pièces que les auteurs nouveaux ne manqueront pas d’écrire pour lui ; il est à craindre que M. X… ne crée et ne maintienne par le succès le type de l’amant qui a l’air de ne pas aimer, le geste qui a peur du ridicule, le mot qui ne va pas jusqu’au bout de sa pensée. Deux ou trois fois déjà, M. X… est parvenu à ne pas ressembler à M. X… Il devrait s’y efforcer davantage ; il nous a montré qu’il pouvait sinon éprouver, du moins affecter, une émotion sincère. Il serait très bien qu’il renonce à son affectation et cherche à s’incarner en des personnages divers, plutôt que de continuer à jouer les X…, car alors on l’imiterait en province. »

Du fait que le grand acteur est directeur, la distribution d’une pièce, cette première traduction de la pensée du poète, si importante et si décisive, devient, comme la plupart des traductions, une évidente et nécessaire trahison.

Un grand acteur ne peut être directeur, en effet, qu’à condition que son talent ne soit ni exclusif par son genre ni trop grand par son ampleur et ses moyens, qu’il ne perde pas de vue son rôle de servant du théâtre, c’est-à-dire son rôle d’électeur dramatique, qu’il ne contraigne pas les auteurs à devenir des confectionneurs ou des fabricants de montures à son talent. L’auteur