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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/204

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velours des fauteuils vides, un homme est assis, attentif jusqu’à la crispation, tout sens, tout entendement et toute sensibilité aussi ; penché vers la scène où répètent les comédiens, les yeux fixés sur ce trou béant, sans décors et presque sans lumière, où évoluent des gens disparates d’humeur et de vêtements, le sourcil contracté, l’oreille tendue pour écouter un texte encore imprécis dans son émission ou dans sa compréhension, à peine teinté du sentiment où le poète l’a écrit, et presque aussi incolore que les visages, cet homme est le metteur en scène.

Dans les limbes où se préforme le spectacle, dans cette lente organisation où se composent les linéaments de la représentation, où l’œuvre se préfigure, où le ferment dramatique travaille mystérieusement, il surveille, avec patience, avec discernement, avec une singulière tendresse, les nombreux éléments épars qu’il a choisis et rassemblés pour animer l’œuvre de l’auteur, activant les uns ou modérant les autres suivant leur paresse ou leur vivacité, mais les laissant cependant dans une liberté nécessaire à leur vie personnelle et à leurs réactions, pour les acheminer doucement vers une composition dont l’expression définitive n’apparaîtra que dans leur union parfaite devant le public. Ce métier s’exerce par une intuition, une détection, une prémonition spécifiques, une spéciale alchimie dont les éléments de transmutation sont faits de mots, de sons, de gestes, de couleurs, de lignes, d’évolutions, de rythmes et de silences, et aussi de cette impondérable matière