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Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/62

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particulière d’exproprier, ou de s’approprier, le personnage. En lui faisant incarner un héros, on pratique sur l’élève une sorte d’exorcisme qui permet de le classer. Il n’a encore aucune des qualités suffisantes pour jouer Hamlet, Alceste ou Tartuffe, mais la manière dont il réagit dans ces rôles, permet de déceler celles qu’il possède et d’orienter sa vocation. Avec Beaumarchais, ceci est très particulier et peut-être unique : cette expérience est inefficace et ce contrôle sans valeur, car l’humanité des personnages de Beaumarchais ne concerne pas l’acteur — il s’agit avant tout, ici, d’une question de ton et de physique. L’élève a ou n’a pas le ton et le physique du personnage.

Hamlet est un personnage parfaitement humain, parce que complexe, parce que trouble. Chaque élève peut apporter dans ce rôle sa sensibilité propre, il trouvera toujours de quoi la sustenter, la nourrir.

Rien de semblable avec les héros de Beaumarchais ; si l’élève n’est pas rigoureusement le personnage, c’est sans espoir. L’auteur lui-même s’en rendait compte ; car il a pris soin, dans l’énoncé de ses distributions, de décrire minutieusement chacun de ses personnages.

Le vrai héros de théâtre est un être trouble, compliqué et contradictoire — c’est-à-dire, humain — mais quels que soient les commentateurs, les psychologues, les critiques qui l’étudient ou les acteurs eux-mêmes qui l’incarnent, il reste intact et impénétrable. Accablé de gloses, rongé par les exégètes, miné par les analystes, torturé par les comédiens, le héros de théâtre, quel que