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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/136

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mander l’hypocrisie, et le clergé y donner la main[1]. L’Église de France changea de politique dans le siècle suivant. Après avoir, sous Louis XIV, contraint les protestants à se marier à l’église, contre le cri de leur conscience, elle repoussa, sous Louis XV, ceux qui venaient d’eux-mêmes au-devant de l’hypocrisie, et ne fit plus de mariages sans s’être assurée de la réalité et de la solidité des conversions[2]. Ce fut un genre de persécution nouveau : elle condamna les protestants à vivre hors de la loi, après les

  1. Fénelon avait horreur de cette politique sacrilège : « Comment donner Jésus-Christ à ceux qui ne croient pas le recevoir ? Cependant je sais que dans les lieux où les missionnaires et les troupes sont ensemble, les nouveaux convertis vont en foule à la communion. Ces esprits durs, opiniâtres et envenimés contre notre religion, sont partout lâches et intéressés. Si peu qu’on les presse, on leur fera faire des sacrilèges innombrables ; les voyant communier, on croira avoir fini l’ouvrage, mais on ne fera que les pousser par les remords de leur conscience jusqu’au désespoir, ou bien on les jettera dans une impossibilité ou une indifférence de religion qui est le comble de l’impiété et une semence de scélérats qui se multiplie dans tout un royaume. Pour nous, monsieur, nous croirions attirer sur nous une horrible malédiction, si nous nous contentions de faire à la hâle une œuvre superficielle qui éblouirait de loin. » (Lettre au marquis de Seignelay, de La Tremblade, 26 février 1686.) « Si on voulait leur faire abjurer le christianisme, il n’y aurait qu’à leur montrer des dragons. » (Lettre à Bossuet, 8 mars 1686.)
  2. Ce furent les évêques de Languedoc, et à leur tête l’évêque d’Alais, qui firent prévaloir cette doctrine dans le clergé, malgré l’opposition du roi et des parlements. En 1751, l’évêque d’Alais traita de puissance à puissance avec l’intendant, c’est-à-dire avec le roi. Il offrit d’acquiescer à l’amnistie, c’est-à-dire de relever de la bâtardise les enfants des protestants qui s’étaient mariés hors de l’église (mariés au désert, comme on disait alors), et d’abréger le temps des épreuves pour ceux qui demanderaient à contracter un mariage ou à réhabiliter un mariage ancien ; mais il y mit pour conditions que les ministres qui prêcheraient seraient mis à mort, que les protestants qui assisteraient aux prêches seraient envoyés aux galères ; que les enfants des parents qui n’auraient pas fait réhabiliter leur mariage seraient déclarés bâtards ; que les protestants mariés à l’église seraient obligés toute leur vie, sous peine de la flétrissure, du bannissement et de la confiscation, d’assister aux messes paroissiales, aux offices divins et aux instructions, et qu’enfin les peines seraient appliquées, sans forme ni figure de procès, par le commandant militaire de la province, ou, en son absence, par l’intendant.