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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/153

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préjugé empêchait les plus fermes esprits de proclamer hautement et sans restriction le principe de la liberté. Il ne fut pas même mentionné dans la nuit du 4 août.

Les juifs étaient peut-être plus malheureux encore que les protestants ; ils n avaient pas cessé d’être persécutés depuis l’avènement du christianisme au pouvoir. Quand cette nation, qui ne pouvait s’allier à aucune autre, eut été définitivement vaincue par les Romains et chassée de la Judée, son sort fut de ne pas périr comme religion et comme race, et de ne retrouver sur aucun point de la terre la patrie qu’elle venait de perdre. En France, les juifs avaient été bannis plusieurs fois, notamment sous Philippe le Long, en 1318. Rentrés en France, ils y furent réduits à la condition de serfs mainmortables, ce qui explique une ordonnance de Charles VI[1], prononçant la confiscation de tous les biens des juifs qui se convertissaient : le roi ne voulait pas tout perdre. Pendant les derniers siècles de la monarchie, la population juive de la France se divisait en deux parties fort différemment traitées : les juifs portugais et espagnols établis à Bordeaux et à Bayonne, et les juifs d’Avignon, qui, plus tard, obtinrent les mêmes privilèges, étaient à peu près considérés comme citoyens ; ils pouvaient posséder des terres ; ils payaient leurs impôts sur le même pied que les autres habitants, et étaient soumis aux mêmes lois et aux mêmes juges. Ces droits leur avaient été accordés depuis deux cent quarante ans, par lettres patentes renouvelées de règne en règne, et dont les dernières datent de 1776[2]. Les juifs d’Alsace, au contraire, ceux de Lor-

    ture humaine, ne sera point confondue avec une coupable indifférence pour tous les cultes. »

  1. 4 avril 1392. Cf. L’Esprit des Lois, liv. XXI, chap. XX.
  2. « Voulons, dit l’ordonnance, qu’ils soient traités et regardés ainsi que nos autres sujets nés en notre royaume, et qu’ils soient réputés tels, tant en jugement que dehors. » On voit cependant que les juifs étrangers ayant été déclarés admissibles aux nouveaux brevets créés en 1767, et dont la création fut enregistrée au parlement le 19 juin de la même an-