Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/155

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de l’État, sans rien changer aux maximes du gouvernement. Pendant toute la fin de l’empire romain, et pendant tout le moyen âge, le pouvoir civil s’attribua le droit, se crut le devoir d’imposer une religion par la force. L’inquisition ne fit qu’organiser ces violences. Elle subsiste encore à Rome, quoique adoucie ; et c’est à peine si elle était abolie de fait en Espagne quand les armées françaises y pénétrèrent sous Napoléon[1]. Elle ne fut jamais que nominale en France, parce qu’elle fut repoussée, non par une pensée de tolérance, mais par le pouvoir épiscopal et l’esprit des libertés gallicanes. L’absence de l’inquisition ne rendit pas la France clémente. Sous François Ier les protestants furent massacrés ; ils le furent sous Henri II, sous François II ; le règne de Charles IX n’a qu’une date, et c’est la nuit de la Saint-Barthélemy. Henri IV, né huguenot, dont les meilleurs amis étaient morts sous les coups de la Ligue, qui avait vu Henri III assassiné sous ses yeux par un fanatique, qui, repoussé à cause de sa religion, avait lutté trois ans pour reconquérir sa capitale, et n’y était enfin rentré qu’en abjurant sa foi et en payant la trahison de Brissac, Henri IV donne aux protestants, au lieu de la liberté religieuse, des sûretés et des garanties. Il arme une religion contre l’autre. Il comprend si peu la tolérance qu’il ne croit pouvoir faire subsister ensemble les deux religions, qu’en séparant son peuple en deux peuples. Après lui, cette situation étrange produisit fatalement la guerre civile. Bientôt ce ne fut plus entre les deux partis qu’une question de force ; et au fond, même sous Henri IV, la force seule avait tout dominé. Louis XIV se donna pour tâche d’anéantir le protestantisme : rien ne lui coûta pour y parvenir ; il employa tout à la fois la ruse et la force. Ce qui restait de protestants vécut dans l’abjection sous Louis XV et sous Louis XVI. L’ordonnance

  1. L’inquisition fut détruite par les Français en 1800, rétablie en 1810 par Ferdinand VII, et abolie définitivement par les Cortès en 1820.