Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/156

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de 1787 en fit, pour ainsi dire, des hommes sans les élever au rang de citoyens. Et comme si tout devait confondre la raison dans l’histoire de l’intolérance humaine, nous allons voir la révolution s’y prendre à trois fois pour émanciper les juifs. La Déclaration des droits de l’homme ne suffit pas pour les affranchir ; tant cette exception contre nature paraissait légitime aux esprits les plus philosophiques et aux plus hardis révolutionnaires. Je montrerai bientôt que l’Assemblée nationale, assez longtemps après avoir déclaré que tous les hommes naissent et demeurent égaux devant la loi, délibérait encore pour savoir si les protestants et les juifs pourraient entrer dans les collèges municipaux. Elle en ouvrit la porte aux protestants, non sans hésiter ; mais pour les juifs, elle ne consentit à voir en eux des citoyens qu’au mois de septembre 1791. Encore la liberté des cultes ne fut-elle pas proclamée sous son nom, et à la face du ciel, comme les autres libertés ! Le décret qui abolit les derniers restes de l’oppression porte la marque d’une défiance et d’une animosité invincibles. On pourrait presque dire que les juifs furent émancipés quoique juifs, et seulement par respect pour leur qualité de Français, mais que l’émancipation du judaïsme ne fut pas décrétée, et que la liberté de conscience fut méconnue jusqu’au bout.

Tel est le tableau que l’histoire vient de nous dérouler ; et l’on ne peut s’empêcher de dire ici, que l’humanité n’est rien que par la pensée, que la pensée n’est rien que par la liberté ; et que toutes les forces de la passion individuelle, toutes les forces des États, toutes celles des institutions et des agglomérations religieuses, ont été presque constamment employées à détruire la liberté de la pensée, et par conséquent la pensée elle-même. On se consolerait presque de voir des prétoriens romains, ou les grossiers soudards du moyen âge, méconnaître les conditions les plus nécessaires de la dignité et de la grandeur humaine ; mais ce qui est navrant, ce qui est décourageaiit, c’est de