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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/165

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pas prouvé qu’ils ne le sont pas[1], — Ils ne le sont pas, s’écrie Rewbell ; ils ne croient pas l’être[2]. — Ils sont indignes de l’être, » répond l’abbé Maury[3]. Et il part de là pour faire contre eux un réquisitoire en forme. Les juifs ne sont pas une secte, mais un peuple. C’est un État dans l’État. Ils ont une pairie qui n’est pas la nôtre, des lois, des mœurs différentes de nos lois et de nos mœurs. En échange du titre de citoyens que nous leur donnerions, que nous apporteraient-ils ? Ils ne sont ni soldats, ni industriels, ni laboureurs ; ils ne connaissent d’autre profession que l’usure. « Aucun d’eux n’a su encore ennoblir ses mains en dirigeant le soc et la charrue, » s’écrie l’orateur, oubliant que les lois de tous les peuples interdisent aux juifs le droit de posséder la terre. « C’est pour eux, c’est pour leur salut, ajoute-t-il, que je vous conjure de ne pas en faire des citoyens. Une si grande faveur et si peu méritée ferait éclater la haine, et le peuple se porterait à des extrémités. » L’évêque de Nancy, La Fare, insiste sur cette dernière considération, et les raisons qu’il apporte prouvent en effet la persistance des haines religieuses au milieu de l’effervescence des idées libérales. « Le peuple les a en horreur, dit-il[4] ; ils sont souvent en Alsace les victimes des mouvements populaires. Il y a quatre mois, on voulait à Nancy piller leurs maisons. » Je l’avoue ; cette argumentation est sans réplique. Puisque les juifs sont persécutés, il serait impolitique de les élever à la dignité de citoyens ! L’abbé Maury et l’évêque de Nancy consentaient à admettre dans les conseils municipaux les comédiens et les protestants, mais ils avaient trop d’humanité pour ne pas repousser les juifs. « Un décret qui donnerait aux juifs les droits de citoyens pourrait allumer un grand incen-

  1. « Régénérateurs de l’Empire français, disaient les juifs dans une pétition lue à l’Assemblée, le 24 décembre 1789, non, vous ne voudrez pas que nous cessions d’être citoyens lorsque depuis six mois nous en remplissons si assidûment les devoirs. »
  2. Séance du 21.
  3. Séance du 22.
  4. Séance du 23.