Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/220

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usurper la place. Elle est en nous le sens de l’infini. C’est par elle qu’au lieu de nous borner au monde de la matière, nous trouvons, nous possédons le monde invisible. La raison, pour Chaumette et la Commune de Paris, représentait dans la loi la terreur, dans la morale la licence, dans la philosophie l’athéisme ; mais pour nous et pour tous ceux qui savent l’entendre, elle signifie Dieu, le devoir et la liberté.

Il faut le dire bien haut : ce culte de la raison ne fut que le délire d’un moment. La Convention le subit ; c’est une tache pour elle : mais l’idée n’en était pas née dans son sein ; c’est une création de la Commune de Paris. Quand Chaumette, escorté d’une troupe de gens sans aveu, vint proclamer son nouveau culte dans l’Assemblée, les représentants applaudirent ; ils invitèrent Chaumette et la déesse de la Raison aux honneurs de la séance ; ils firent plus : ils décidèrent que Notre-Dame serait le temple de la Raison, et descendant de leurs sièges, ils suivirent docilement le cortège de la déesse jusque dans son nouveau temple[1]. Mais ils souffraient au fond de l’âme. Ils sen-

  1. Séance de la Convention du 20 brumaire an II (10 novembre 1793). « Chaumette, à la barre. Le peuple vient de faire un sacrifice à la Raison dans la ci-devant église métropolitaine. Il vient en offrir un autre dans le sanctuaire de la Loi : je prie la Convention de l’admettre. »
     Un groupe de jeunes musiciens ouvre la marche. Les jeunes orphelins des défenseurs de la patrie viennent ensuite ; ils chantent un hymne patriotique qu’on répète en chœur.
     Des citoyens couverts d’un bonnet rouge s’avancent en répétant les cris : Vive la Montagne ! Vive la République ! Les membres de la Convention mêlent leurs cris à ceux des citoyens. La salle retentit d’applaudissements.
     Une musique guerrière frappe l’air des airs chéris de la Révolution. Elle précède un cortège de jeunes femmes vêtues de blanc, ceintes d’un ruban tricolore, la tête ornée de fleurs.
     Après elles, s’avance la déesse Raison. C’est une belle femme, portée par quatre hommes dans un fauteuil entouré de guirlandes de chêne ; le bonnet de la liberté est placé sur sa tête ; sur ses épaules flotte un manteau bleu ; elle s’appuie sur une pique….
     « Chaumette. Nous vous demandons que la ci-devant métropole de Paris soit consacrée à la Raison et à la liberté. Le fanatisme l’a abandon-