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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/25

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C’est empoisonner la source de la morale que de représenter les malheurs des hommes et jusqu’à leurs crimes comme étant l’ouvrage des dieux, et de dire avec Eschyle[1] :

Quand Dieu veut la ruine d’une famille,
Il fait naître l’occasion de la punir ;

et c’est affranchir les méchants du frein de la terreur, c’est désarmer la justice des dieux que d’admettre qu’on peut la fléchir par des sacrifices, des prières et des offrandes[2]. « Je profiterai, dit-il, du fruit de l’injustice, et en faisant une part aux dieux sur mes bénéfices, j’échapperai à leur vengeance ? C’est comme si l’on disait que les loups donnent aux chiens une petite partie de leur proie, et que les chiens, gagnés par cette largesse, leur abandonnent le troupeau pour le ravager impunément[3]

De ces citations, qu’il serait facile de multiplier, on peut conclure que Platon, ainsi qu’Aristote, et avant lui, regardait la mythologie comme une première tentative d’explication philosophique de la nature ; qu’il ne s’exagérait pas la valeur de ces hypothèses, inspirées par le besoin de croire en l’absence de tout élément scientifique, rêves brillants et inconsistants de l’enfance de l’humanité ; et enfin qu’il appréciait à leur juste valeur les fables dans lesquelles était enveloppée la doctrine des anciens poètes, à l’insu des poëtes eux-mêmes.

Voici maintenant, après le Platon clairvoyant et résolu, le Platon à demi superstitieux et crédule.

On ne saurait douter que ce même philosophe, qui repoussait avec indignation les récits mensongers des poëtes[4], qui déclarait expressément qu’il faut tout accepter ou tout

  1. Rép., p. 442. — Les vers attribués à Eschyle sont probablement tirés de la tragédie de Niobé, qui est perdue.
  2. Ib., II. Trad. fr., t. IX, p. 80 sqq.
  3. Les Lois, liv. X. Trad. fr., t. VIII, p. 268 sqq.
  4. Ib., liv. I. Trad. fr., t. VII, p. 33 ; II, t. VII, p. 422 ; IX, t. VIII, p. 215 sq. Rép. II, t. IX, p. 406 sqq., 144 sq., 132 ; III, t. IX, p. 473.