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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/26

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rejeter dans la mythologie[1], et qui reprochait aux prêtres de vendre les bienfaits[2] et l’indulgence des dieux[3], se laissait souvent entraîner au delà des limites de la philosophie par un certain attrait pour le merveilleux et le surnaturel dont son âme poétique et religieuse ne put jamais se défendre. Rappelons-nous ce qu’il dit de Socrate ; nous n’insisterons pas sur le démon familier, qu’on peut interpréter diversement[4] ; mais quand Alcibiade raconte, dans le Banquet, que Socrate resta un jour et une nuit immobile à la même place, et qu’il se retira à l’aurore après avoir fait sa prière au soleil[5] ; quand Socrate lui-même, dans l’Apologie (c’est-à-dire Platon par la bouche de Socrate), donne une importance sérieuse à l’oracle qui l’a proclamé le plus sage des hommes[6] ; quand il déclare qu’il s’abandonne avec confiance à ses juges et au dieu de Delphes[7] ; quand il affirme qu’il ne mourra pas avant trois jours, parce qu’une femme le lui a révélé en songe[8] ; quand, pour obéir à un autre songe, il compose en prison un hymne en l’honneur d’Apollon[9] ; quand il demande à l’esclave des Onze s’il est permis de faire une libation avec la ciguë[10] ; quand il se réveille au dernier moment de son agonie pour dire à Criton : « Nous devons un coq à Esculape, n’oublie pas d’acquitter cette dette[11] : » est-il possible de ne pas voir que Socrate n’a pas absolument secoué le joug, et qu’il lui reste quelque chose des préjugés religieux de son éducation ? Platon, dans le Ménexène, parle ainsi de l’Attique : « Pays chéri du ciel : témoin la querelle et le jugement des dieux, qui s’en dis-

  1. Rép., II, t. IX, p. 84.
  2. Lois, X, t. VIII, p. 268, 270.
  3. Rép., II, t. IX, p. 84.
  4. Apologie, t. I, p. 93, 94, 96, 116. — Théétète, t. II, p. 59. — Premier Alcibiade, t. V, p. 20, 85. — Phèdre, t. VI, p. 37. — Théagès, t. V. p. 258, etc.
  5. Banquet, t. VI, p. 338.
  6. Apologie, t. I, p. 71.
  7. Ib., p. 107.
  8. Criton, t. I, p. 130.
  9. Phédon, t. I, p. 492. Cf. Diogène Laërce, t. II, ch. XLII.
  10. Phédon, t. I, p. 320.
  11. Ib., p. 322