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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/251

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papier qu’il tenait à la main, et tendit la plume au cardinal pour signer le premier, celui-ci, en jetant les yeux sur les articles, s’aperçut qu’on lui présentait le premier projet des commissaires français, sans tenir compte des concessions faites. On devine son indignation. Il consentit pourtant, sur les instances de Joseph Bonaparte, à ouvrir sur place une nouvelle négociation, qui dura, sans désemparer, dix-neuf heures. On se mit d’accord sur tous les points, un seul excepté, le premier (la police du culte), sur lequel Consalvi fut inflexible. À une heure de l’après-midi, le 14, Joseph sortit pour aller soumettre ce résultat au terrible consul. Il revint tout pâle de la colère qu’il avait affrontée, apportant une déclaration de rupture. Toutes les instances des commissaires échouèrent devant la résolution de Consalvi, inflexible ce jour-là, parce qu’il y allait de sa conscience. « J’éprouvais les angoisses de la mort, nous dit il dans ses Mémoires, mais mon devoir l’emporta, et avec l’aide du ciel je ne le trahis point. »

Il dut se rendre, quelques heures après, aux Tuileries, pour assister à un banquet de trois cents couverts, offert par les consuls en mémoire de la prise de la Bastille (on était au 14 juillet). « Vous avez voulu rompre, s’écria en le voyant le premier consul. Soit, je n’ai pas besoin de Rome ; je n’ai pas besoin du pape. Si Henri VIII, qui n’avait pas la vingtième partie de ma puissance, a su changer la religion de son pays, bien plus le saurais-je faire et le pourrais-je, moi ! En changeant la religion, je la changerai dans presque toute l’Europe, partout où s’étend l’influence de mon pouvoir. Rome s’apercevra des pertes qu’elle aura faites. Elle les pleurera, mais il n’y aura plus de remède. Vous pouvez partir : c’est ce qu’il vous reste de mieux à faire. Vous avez voulu rompre : eh bien, soit, puisque vous l’avez voulu. Quand partez-vous ?… — Après dîner, général. »

On était à deux de jeu, et chacun menaçait son adversaire d’une rupture, sachant, ou espérant du moins, qu’il