Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/297

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une qui n’ait à souffrir de l’intolérance. Je commencerai par la religion catholique.

Tout le monde sait qu’en Russie la religion de l’État est la religion grecque ou plutôt la religion gréco-russe ; car depuis le temps du grand-duc Féodor Iwanowich[1], il n’existe plus aucun lien entre le patriarche grec et le saint synode russe. À l’époque dont je parle, Jérémie II, patriarche de Constantinople, érigea l’archevêché de Moscou en patriarcat, et consomma ainsi la séparation des deux Églises grecques. Cette division en amena une autre. L’archevêque de Kiew, dont le siège était plus ancien et plus illustre que celui de Moscou, ne voulut pas reconnaître l’autorité du nouveau patriarche. Il rassembla ses suffragants et leur proposa, puisque le patriarche grec de Constantinople renonçait à la suprématie qu’il avait jusqu’alors exercée, de reconnaître l’autorité du pape. Cette proposition fut adoptée, et l’église de Kiew fut reçue dans la communion romaine, sans pour cela être contrainte à renoncer au rit grec[2]. Cette église, de rit grec et de communion romaine, porta le nom d’église ruthénienne. La soumission d’une partie de ses sujets à l’autorité spirituelle d’un prince étranger, au moment même où Jérémie lui vendait à prix d’or l’indépendance de l’Église russe, irrita le grand-duc, qui, dès ce jour, ne cessa de violenter les Églises ruthéniennes rentrées dans la communion du saint-siége. Ses successeurs l’imitèrent dans sa prédilection pour l’Église schismatique russe devenue Église nationale, et dans sa malveillance pour les catholiques romains. Pierre le Grand, qui ne voulait aucun pouvoir à côté de lui, et à qui l’autorité du patriarche de Moscou faisait ombrage, le restreignit aux stériles honneurs du patriarcat, transféra l’administration temporelle et spirituelle de l’Église russe à un saint synode composé de ses créatures, et attira ainsi à lui--

  1. L’érection du patriarcat de Moscou fut confirmée par le concile tenu à Constantinople en février 1593.
  2. 2 décembre 1593.