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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/37

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Varron l’a démontré jusqu’à l’évidence par l’étalage même de son érudition théologique[1]. Les Romains n’étaient intolérants politiquement qu’à force de ne pas l’être religieusement. Tandis que pour les Juifs, c’était quitter la religion que d’admettre un autre Dieu que Dieu, les Romains faisaient consister la piété à admettre tous les dieux qui se présentaient. En exclure un seul, c’était offenser tous les autres, parce qu’ils ne voyaient dans la religion que l’idée de religion, sans s’inquiéter un seul instant, si ce n’est dans quelques collèges de prêtres, de la différence des dogmes. La condamnation de tous les dieux étrangers, dogme fondamental de la religion des Juifs, les rendait odieux aux Romains qui le plus souvent les toléraient, les chassaient quelquefois[2], et en somme ne daignaient pas leur faire l’honneur d’une persécution. Ils y regardèrent de plus près quand les chrétiens professèrent au milieu d’eux cette même doctrine de l’adoration d’un seul Dieu à l’exclusion de tous les autres, parce que les chrétiens étaient animés de l’esprit de propagande. La religion naissante, qui excluait toutes les autres sous peine de sacrilège, et qui, en prêchant son dogme, prêchait la négation de tous les autres, était précisément le contraire de cette religion romaine, qui traitait de sacrilège l’exclusion d’une religion quelle qu’elle fût. Ces deux intolérances ne pouvaient se comprendre. S’il y eut, à l’égard des chrétiens, comme des intervalles d’indifférence sous quelques empereurs, cela tint à l’insignifiance de la secte dans les commencements, à son extrême prudence, aux soins qu’elle prenait de se conformer extérieurement aux lois. Il est probable qu’ils

  1. « Varron déclare lui-même qu’il y a des vérités que le peuple ne doit pas savoir et des impostures qu’il est bon de lui inculquer comme des vérités. » Saint Augustin. Cité de Dieu, l. IV, ch. 31. « On s’en est rapporté plutôt aux poëtes qu’aux philosophes, et c’est pour cela que les anciens romains ont admis des dieux mâles et femelles, des dieux qui naissent et qui meurent. » Idib., ch. 32. — Cf. l. VI, ch. 2 sqq.
  2. Tacite, Annal., II, 85.