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Page:Jules Simon - La liberte de conscience, 1872.djvu/69

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à la théologie les procédés de la philosophie. Il rétracta toutes les erreurs qui lui furent imputées, se soumit aux décisions de l’Église et évita par cette conduite de fonder un schisme ; mais il ne put désarmer la rigueur de saint Bernard et de ses autres ennemis, et c’est précisément ce qui donne à sa vie et à ses exemples une importance considérable dans l’histoire de l’intolérance.

On était alors au douzième siècle[1]. L’école de Paris était la première du monde, et, dans cette école même, Abélard effaçait tous les maîtres. Il n’y avait pas de salle, pas d’église qui pût contenir ses disciples. Quand il paraissait pour enseigner sur les marches d’une église, la foule encombrait les parvis. Ils étaient là, venus par milliers pour le voir et pour l’entendre, quelques-uns du fond de l’Espagne. Les évêques, les couvents étaient attentifs à chacune de ses paroles : les docteurs descendaient de leurs chaires pour se mêler à l’auditoire ; on s’arrachait ses écrits : les femmes ne rêvaient que de sa gloire. On le prit, on lui jeta sur les épaules un froc de moine, on l’exila tantôt à l’abbaye de Saint-Denis, tantôt sur les âpres rochers de Saint-Gildas. Il s’échappe, et toujours plein de sa pensée, ne trouvant plus d’asile dans les monastères et dans les écoles, il court au désert, y bâtit un oratoire qu’il appelle Paraclet, c’est-à-dire le consolateur, avec une tente pour s’abriter ; et aussitôt sa foule lui revient, ardente, émue, passionnée comme aux anciens jours. On assemble un nouveau concile pour le juger, c’est-à-dire pour le détruire. Il y vient, au milieu d’anciens amis devenus ses juges, entouré de disciples. Là il se déclare enfant soumis de l’Église. « Je crois, dit-il, tout ce que l’Église enseigne ; je me soumets à l’autorité ; je suis orthodoxe. » Et que lui répond l’intolérance ? Qu’il ne faut pas discuter ses livres ; qu’il suffit de les lire.

« J’en appelle, dit Abélard, à l’autorité de

  1. La condamnation d’Abélard est de 1140, sous le règne de Louis VII.