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Page:L'Année sociologique, Tome I, 1923-1924.pdf/41

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forme archaïque de l’échange

que nous allons étudier ici et dont on verra combien ils sont éloignés, en matière de droit et d’économie, de l’état de nature.

Dans les économies et dans les droits qui ont pré­cédé les nôtres, on ne constate pour ainsi dire jamais de simples échanges de biens, de richesses et de pro­duits au cours d’un marché passé entre les individus. D’abord, ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités qui s’obligent mutuellement, échangent et contractent[1] ; les personnes présentes au con­trat sont des personnes morales : clans, tribus, familles, qui s’affrontent et s’opposent soit en groupes se faisant face sur le terrain même, soit par l'intermédiaire de leurs chefs, soit de ces deux façons

    Wirtschaftslehen der primitiven Volker, 1911 ; mais il considère le vol comme primitif et confond en somme le droit de prendre avec le vol. On trouvera un bon exposé des faits Maori dans W. von Brun, Wirtschaftorganisation der Maori (Beitr. de Lamprecht, 18), Leipzig, 1912, où un chapitre est consacré à l’échange. Le plus récent travail d’en­semble sur l’économie des peuples dits primitifs est : Koppers, Ethnologische Wirtschaftsordnung, Anthropos, 1915-1916, p. 611 à 651, p. 971 à 1079 ; surtout bon pour l’exposé des doctrines ; un peu dia­lectique pour le reste.

  1. Depuis nos dernières publications, nous avons constaté, en Aus­tralie, un début de prestation réglée entre tribus, et non plus seulement entre clans et phratries, en particulier à l’occasion de mort. Chez les Kakadu, du Territoire Nord, il y a une troisième cérémonie funéraire après le deuxième enterrement. Pendant cette cérémonie les hommes procèdent à une sorte d’enquête judiciaire pour déterminer au moins fictivement qui a été l’auteur de la mort par envoûtement. Mais con­trairement à ce qui suit dans la plupart des tribus australiennes, aucune vendetta n’est exercée. Les hommes se contentent de rassembler leurs lances et de définir ce qu’ils demanderont en échange. Le lendemain ces lances sont emportées dans une autre tribu, les Umoriu par exemple, au camp desquels on comprend parfaitement le but de cet envoi. Là les lances sont disposées par paquets suivant leurs propriétaires. Et suivant un tarif connu à l’avance, les objets désirés sont mis an face de ces paquets. Puis tous sont ramenés aux Kakadu (Baldwin Spencer, Tribes of the Northern Territory, 1914, p. 247). Sir Baldwin mentionne que ces objets pourront être de nouveau échangés contre des lances, fait que nous ne comprenons pas très bien. Au contraire il trouve dif­ficile de comprendre la connexion entre ces funérailles et ces échanges et il ajoute que « les natifs n’en ont pas idée ». L’usage est pourtant parfaitement compréhensible : c’est en quelque sorte une composition juridique régulière, remplaçant la vendetta, et servant d’origine à un marché intertribal. Cet échange de choses est en même temps échange de gages de paix et de solidarité dans le deuil, comme cela a lieu d’or­dinaire, en Australie entre clans et familles associées et alliées par mariage. La seule différence est que cette fois l’usage est devenu intertribal.