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Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/428

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M. Lavisse écrit :

« Longtemps, pendant la période du grand deuil national et de l’heureuse concorde dans l’effort et l’espérance, aucune inquiétude, aucune préoccupation même n’a troublé cette affection [pour l’armée]. »

Il faudrait savoir exactement si les organisateurs de la troisième République se sont sincèrement efforcés d’instituer une armée de marche, une armée de guerre, une armée qui servît, s’ils ont vraiment espéré que cette armée servirait contre l’ennemi du dehors.

M. Lavisse avait à réconcilier. Pour que l’on puisse utilement réconcilier, il faut qu’il y ait au moins deux adversaires en présence ; il faut que ces deux adversaires soient à peu près au même niveau. Le niveau dreyfusard était connu, respectable, et M. Lavisse l’a désigné assez bien :

« La patrie n’est plus seulement le pays où les ancêtres ont vécu et dorment le dernier sommeil, plus seulement un sol et des habitants, de la terre, des hommes et des souvenirs. Elle est un lieu dans l’humanité. On la veut humaine en elle-même, égale et juste pour tous ses enfants, humaine envers les autres patries, respectant leurs droits comme elle veut qu’on respecte les siens, réglant ses sympathies extérieures sur l’idée qu’elle se fait de la justice, réparant les injustices quand elle peut, et, si elle ne le peut, les réprouvant, en souffrant. Dans le passé, on aime par préférence les manifestations de raison humaine que fit la raison française ; entre les gloires, on préfère cette grande gloire d’avoir brisé toutes les vieilles tyrannies, affranchi des millions d’hommes et changé le monde, car, au commencement du monde moderne, il y a la France : In principio erat Gallia. On sait bien qu’aujourd’hui la France doit avant tout penser à elle-même et que disperser sa force en entreprises de chevalerie serait une coupable folie. Mais on ne comprend point comment la France pourrait grandir à perdre son originalité entre les nations. On croit, au contraire, que ce serait, sans compensation, la déchéance. Bref, on prend la charge du double devoir de Français et d’homme, et, si l’on aime d’un naturel amour le sol natal, si l’on tient pour une noblesse la qualité d’être Français, on ne pense pas qu’il suffise, pour la mériter, de s’être donné la peine de naître en France. »

Cette expression du dreyfusisme est assez bonne. Elle n’est pas très bonne, elle n’est pas exacte : même en définissant l’un des adversaires, l’auteur a commencé à réconcilier.

Où la difficulté commençait vraiment, c’était quand il s’agissait de constituer l’autre adversaire, de l’établir, de l’inventer, de l’imaginer, de le hausser jusqu’au niveau dreyfusard, pour faire la paire, pour faire la comparaison, car on ne peut comparer que des grandeurs de même espèce, et pour faire la réconciliation demandée. Leibnitz avait, dans le temps, brillamment réussi en ce genre d’imaginations, pour la philosophie. M. Lavisse n’y réussit pas moins, pour l’histoire. Il imagine un antidreyfusisme, il habille un nationalisme assez présentable pour se prêter à la comparaison préalable. Voici par exemple ce que devient, en belle littérature, la finaude et sournoise trahison méliniste :

« Tous, nous connaissons des républicains qui aimèrent la République, la