Aller au contenu

Page:La Revue blanche, t20, 1899.djvu/429

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vénérèrent et chantèrent ses hymnes sous l’Empire ; puis se lièrent à elle du relèvement national et la défendirent contre les coalitions. Mais, dès qu’elle fut maîtresse du terrain, la République rompit les rangs et se débanda ; en elle, des partis se formèrent, se heurtèrent et se détestèrent. Avec le désordre commença l’incertitude. C’est un grand sujet de découragement, si l’avenir se dérobe ; le marcheur s’arrête, ne sachant où il va ; bientôt une force l’attire en arrière ; il cède. Nous voyons les représentants de ce parti au Parlement s’accorder avec la droite, et l’ancienne bourgeoisie libérale se rapprocher de l’Église. Sans doute, les causes de cette réconciliation sont nombreuses et diverses, mais le retour à l’Église, puissance conservatrice, est, pour partie, une préférence donnée à l’eau bénite sur le pétrole. »

Voici ce que devient le savant empoisonnement du peuple incrédule et gouailleur par l’Église tartufiée, voici ce que devient l’enseignement congréganiste, les sévices des congrégations, la prévarication et la profanation des sacrements, le sacrilège de la communion vendue pour des bons de pain :

« L’Église ? Mais elle donne à l’immense foule des préceptes, des espérances, des terreurs, une explication de l’existence, et, somme toute, le peu de vie morale qui l’élève au-dessus de l’animalité ; l’Église supprimée, qui donc et quoi la remplacerait ? L’éducation de la raison est à peine commencée dans notre pays. »

Ceci est vrai.

Voici enfin ce que deviennent les hérédités, les héritages d’esprit. Voici ce que devient l’hérédité du patriote philosophe :

« Il aime le pays où ses yeux se sont ouverts à la chère lumière. Il sait ce que doit sa fugitive personne au sol et au ciel du pays, aux peines et à l’effort des ancêtres. Comme les ancêtres vivent en lui, il vit en eux ; il se reporte en arrière, dans les siècles. Il y a deux cents ans, il y a trois cents ans, vivait en France un homme dont il descend en droite ligne, qui était lui à cette date, dont il est peut-être l’exacte image revivante. Les croyances de ce père, la foi en Dieu et en son Église, la foi au Roi, comment les haïrait-il, puisqu’il sait bien qu’elles auraient conduit sa vie, en ces temps-là ? Il comprend et admet, il aime ce passé, en esprit de solidarité filiale, nationale et humaine… Non, cet homme n’a point de haine. Il accommode les survivances aux conditions nouvelles et à l’idéal nouveau. C’est lui qui fait le rêve que la transaction s’accomplisse dans la paix par la liberté, le passé plaidant sa cause et l’avenir aussi, l’avenir gagnant la sienne devant la raison. »

Voici ce que devient l’hérédité du soldat et du prêtre :

« Cet état d’esprit des soldats et des clercs s’explique par l’histoire de l’humanité : il est fondé sur une longue tradition vénérable ; il est légitime absolument. Ceux qui plaisantent en cette matière sont de médiocres esprits, ou bien qui s’aveuglent. « Sabre et goupillon », c’est bientôt dit, mais cela ne dit rien. Et ces plaisanteries sont dangereuses pour ceux qui les font ; elles les trompent sur la force de leurs adversaires, qu’elles feraient croire négligeables. Un politique qui la négligerait mènerait sa politique aux abîmes. »

Comme ces hérédités sont douteuses ! De qui, en immense majorité, descendons-nous vraiment ? S’il est vrai que les oligarchies nobles ou bourgeoises dépérissent rapidement, s’épuisent en peu de généra-