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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/485

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la bataille de morsang
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point central, avec le souci du confortable cher à un chat qui se dispose à arrondir sa sieste. Mais il resta debout, sans chercher à dissimuler sa personne. Il était vêtu d’une « embrouille », mot dérivé apparemment d’ « embruns », car c’est la cloche de toile verte imperméable des mariniers. Un pantalon de même toile, pas de chemise dessous. Aux pieds, des espadrilles blanches et usées, dont les torons décortiqués et épanouis faisaient « patte-de-chameau ». La canne — un cep de vigne — s’arquait comme pour épouser la forme d’un sabre, ou comme si son maître lui eût pesé trop lourd. Malgré sa courbure, elle était un peu trop haute pour Sacqueville.

Quiconque a lu des récits de voyages sait que tous les grands fauves sont doués de la merveilleuse faculté de disparaître, par leur seule immobilité de roc, sur un fond de verdure. La teinte vert-pâle de son costume aidait au subterfuge. Il prit une précaution additionnelle : il se casqua du court capuchon raide de l’ « embrouille ».

Or, les trois bataillons d’infanterie, clairons et tambours muets, remontaient le fleuve par sa rive droite, dans la formation de la marche en campagne. Les tentacules de l’extrême-pointe épiaient. Les deux escadrons céladons des hussards suivirent. Derrière, les roues des canons et des caissons nivelaient les fleurs du pré.

Ce parcours du bord de l’eau s’avérait beaucoup plus long — plus de deux kilomètres, au lieu de six à sept cents mètres — qu’un chemin improvisé pour couper diamétralement le fer-à-cheval. Mais l’herbe était haute et le terrain, bon aux cavaliers, trop marécageux pour qu’y pût rouler sans s’enlizer l’artillerie.

Donc, Sacqueville attendit que, de droite à gauche, le défilé eût à peu près fermé le cercle.

Il tournait sur lui-même, pour contrôler la marche, la chevauchée et le charroi, et se figurait identifié à un mât central qui eût étayé, tout seul, le dais d’un cirque immense. La canne à sabre serait sa chambrière. Qu’il pivotât sur lui-même, dans ses vêtements sans plis et quasi-cylindriques, cela était aussi peu visible que l’eût été la rotation du mât du cirque. Celle-ci eût eu le défaut de plisser, voire plier la toile, comme on roule un parapluie… le toit de son cirque à lui, quoique pas neuf et qui commençait à s’étoiler en quelques endroits, était solide.

La voiture de cantine portant Jeanne Sabrenas — grâce à l’hospitalité du cantinier et de la cantinière réels, — car, à elle, son uniforme, coquet, était de fantaisie — la voiture allait déboucher du petit bois. Le général de brigade vint caracoler près de Sacqueville. Le jeune homme s’immobilisa, face au vieillard