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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/486

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la revue blanche

équestre, et, avec la plus grande tranquillité mais avec des poumons terribles, cria :

— Régiment, halte !

Cette voix était trop impérieuse et trop forgée par des centaines de générations habituées à être reines, pour que l’obéissance hésitât. On l’obtient déjà en deux ans d’une école ad hoc ou en toute une vie de parvenu. Donc, le cheval même du général devint fixe, deux ou trois capitaines répétèrent à leurs compagnies le commandement supérieur, et avant qu’on se fût aperçu de l’erreur « sur la personne » du chef, ce qu’avait prévu Sacqueville arriva.

L’un des « yeux » de l’extrême-pointe, qui marchait l’arme à la main et chargée, prit peur à l’arrêt subit et lâcha son coup de feu n’importe où devant lui. La balle conique se perdit, tête première, dans la rivière, tel Gribouille.

Or, par suite de la disposition du terrain, circulaire à peu près, limité d’un côté immédiatement par une colline de roches, d’où dépassait seul le clocher du village, et de tous les autres côtés aussi par des collines ; l’espace compris entre ces diverses bornes naturelles excédant dans toutes les directions deux fois trois cent quarante-cinq mètres, vitesse du son par seconde, une douzaine d’échos au moins, d’intensité différente et les deuxièmes chevauchant les premiers, — reprirent, varièrent et fuguèrent le premier coup de feu. Déjà, ils avaient fait nombre dans les coups de voix des capitaines.

De bas officiers se méprirent et commandèrent : « Chargez. » D’autres : « Approvisionnez. » Quand Sacqueville eut jugé que les mesures de défense, assez justifiées par le phénomène inattendu comme tous les phénomènes trop naturels — étaient prises, il ne laissa pas non plus le temps de comprendre aux pantins à qui il télégraphiait sans fil, de même que son bâton de commandement leur était un fouet sans mèche. Sans fil est plus propre ; le vide est le meilleur gant. La nuit s’était faite complète. On distinguait, à la périphérie de l’espace, des masses confuses et peu mouvantes. L’infanterie n’a pas en campagne la baïonnette au canon, et les canons de ses fusils sont par suite comme des chandelles éteintes. Sacqueville avait levé le rideau devant qu’elles fussent allumées.

Le plus visible était le général, parce qu’il avait galopé le plus près du centre, donc de Sacqueville. Celui-ci jeta Glodyte à terre, respira un bon coup, mit ses doigts dans sa bouche et — il avait pris, pour la circonstance, des leçons d’un voyou — il siffla, le