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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/491

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la bataille de morsang
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Quand l’immense galop de flamme déferla à une longueur de Sacqueville, celui-ci, d’un bref coup d’œil, jugea l’animal en face de lui.

Il était unicolore, détail indispensable à sa qualité : bai clair ; il avait le crin épais et voltigeant, les reins forts, la tête courte, les oreilles proportionnées à la tête, le poitrail large et le ventre étroit, les rognons denses, les jointures droites, les genoux égaux. les jambes ossues et non charnues, les cuisses de devant grasses sous les épaules ; il ne s’entretaillait point ; il avait le col élevé, sans rapport aucun avec celui ni du sanglier, qui penche en avant, ni du coq, qui est tout droit, ni du brochet, qui est surtendu, ce qui est signe de lâcheté et de débilité. Il rechigna avant de heurter l’homme : ses dents moyennes, tant les hautes que les basses, étaient chues et ses dents de chien ne l’étaient point encore ; il comptait donc plus de deux ans et demi et moins de quatre. Il avait une seule tare : il était bossu, à la façon du dromadaire, où à tout le moins affligé, sur son dos, d’un parasite muni, tel le sphex, d’un aiguillon : un crin dans la bosse. Par le reflet sur son poil lisse des couleurs de son parasite il ressemblait exactement à une gracieuse antilope du sud de l’Afrique, l’ægocerus cæruleus, et, sa gibbosité unicorne brandie, débuchait.

Or, les longues trompettes, parmi les épieux de feu, sonnaient l’hallali.

De plus près, à la lueur de ces lances qui étaient des torches, Sacqueville examina — en une seconde — l’excroissance qui surmontait sa future monture : c’était un beau jeune homme blond, à figure d’archange, le deuxième lieutenant d’un des escadrons, qui chargeait en ligne avec ses hommes, donc, ses hommes étant à gauche, au centre. De sa latte, quand il vit Sacqueville, il fit le geste — la pointe en bas et à gauche, les ongles en dessus, — dit « parade de la tête du cheval ». C’est à cet instant que le cheval montra ses dents. La lame barrait d’argent l’azur du dolman. Le lieutenant n’avait pas de lance. Mais celles des deux hommes qui lui galopaient botte à botte convergèrent sur Sacqueville. Il laissa Glodyte par terre et s’abandonna, les bras étendus et appuyés à la double rampe montante des hampes la pointe basse, comme à un jusant. Il prit pied, les plantes sur la tête de sa capture, qu’il se promit, en l’honneur et en souvenir de sa gibbosité bientôt guérie, de nommer Dromadaire. Et il se trouva emporté au galop, à chevauchons de rebours, sur l’encolure, dans un corps à corps trop strict pour que l’adversaire pût dégager