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la revue blanche

que le capitaine après avoir, frappé, n’avait, pas eu le temps de ramener à lui, pour le faire, glisser et trancher, son sabre. Le sabre est un bâton qui ne coupe que dans certaines conditions. C’est l’arme de vilains déguisés et instruits. Sacqueville ressentit comme une violente tape sur le ventre. Et même le « bâton » rebondissait en ressauts décroissants : poum, poum, poum… poum…

Malgré les conventions, il échappa à Sacqueville, désagréablement caressé, de dire :

— Ah ! militaire ! vous devenez familier !

Et retirant Glodyte qui avait percé, il faucha, puis il reperça, jusqu’à ce que le poids de l’obstacle où il apaisait le fer lui prît la poignée de la main, et que le tout fût par terre comme une fourchée où un faneur aurait laissé l’outil.

Comme les spasmes mourants du sabre, le tir, autour, d’eux, avait éteint ses derniers bruits.

Une silhouette noire, comme d’un mastodonte, abattait l’herbe de son pas lourd et silencieux. Ce n’était rien de plus qu’un homme très grand de noir drapé. Une longue courbure claire se profilait de dessous son bras comme une défense. L’Aumônier militaire avait deux mètres de taille, des épaulés horizontales, des mains vastes, un considérable nez en rostre tombant. La brise de nuit tordait de côté sa barbe grise de missionnaire. Sa tonsure lui permettait de porter sur lui, où qu’il allât et même s’il survivait à cette nuit-là, une réduction de la lune. Pour l’instant, le chaudronnier céleste lui confectionnait, avec le satellite, derrière sa tête un beau nimbe de saint en cuivre rouge. Il fit un pas et Sacqueville le vit mieux.

Son chapelet avait perdu sa croix, happée sans doute par les lèvres de quelque mourant. Il l’avait remplacée, à la hâte et non sans ingéniosité, par sa décoration de la Légion d’honneur. L’étoile timbrée de soie rouge se balançait contre son genou, à fleur de l’herbe haute. Deux grenouilles s’empressèrent vers le leurre couleur de chair vive. L’abbé ne pensa point à relever la croix hors de portée du baiser des bêtes sacrilèges. Ce qui sous son bras gauche s’étendait, c’était, large, courbe et nue, la lame d’un bancal ramassé n’importe où d’une poche droite de sa soutane s’exhibait un goulot bouché : la fiole du cordial pour les moribonds. Il se mit à parler, comme tout seul, mais d’une voix tonnante.

— Jean a baptisé dans l’eau, mais dans peu de jours vous serez baptisés dans le Saint-Esprit !

Il aperçut la silhouette campée devant bu sous sa chape de toile