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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/501

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la bataille de morsang
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imperméable et où, pour cette raison, avaient séjourné et ruisselé d’autant mieux le sang, la verdure écrasée et la boue. Le capuchon lui donna à penser qu’il récélait peut-être cinq galons ou des étoiles. L’aumônier porta sa paume, des dimensions d’un gant de boxe, à l’aile droite de son chapeau noir. Sacqueville secoua la tête et son capuchon tomba. L’abbé constata qu’il avait des cheveux : un civil. Civilement aussi, il prolongea donc son geste et balaya l’air de son chapeau en un grand salut. Les grenouilles se sauvèrent avec des protestations coassées.

— Bon coup de banderolle, complimenta Sacqueville qui s’était approché dans le vent du salut, et qui, ne voulant point être en reste, rémunérait la civilité par un militarisme.

L’abbé se recoiffa à ces mots et modifia très vile et discrètement, un autre détail de sa tenue : ce fut la garde, de l’épée qui saillit désormais au-devant de sa poitrine, découpant en or, près de sa main, la lettre initiale du mot « presbyterum ».

— À qui ai je l’honneur de parler ? dit l’ecclésiastique

L’autre se nomma :

— Erbrand Sacqueville.

L’abbé avait de l’histoire.

— Tiens ! ce patronyme et ce prénom ne me sont pas inconnus.

— Ce n’est plus le même porteur, dit Sacqueville, à moins qu’il n’ait bien vieilli ou que je n’aie bien rajeuni.

— Ce… porteur, dit l’abbé, a pris dans une autre nuit, celle des temps…

— Pas plus belle que celle-ci, dit Sacqueville, respirant avec satisfaction sous la pureté de la lune.

— … L’Angleterre avec M. Guillaume… le Normand. Et à quelle autre équipée vous amusez-vous, Monsieur ? Vous prenez la France avec Guillaume… II ?

— Je prends une femme, dit Sacqueville. Et à qui ai-je l’honneur… ?

L’abbé toussa et jeta son arme, qui sonna, par terre, sur la plaque de ceinturon d’un nombril mort.

— Mon frère aîné, comme il est d’usage dans notre maison, en soutient le nom et les armes : il s’est voulu capitaine et explorateur à l’instar de Napoléon et de Crusoé. À moi n’est resté que le souci des biens spirituels : vous avez devant vous l’abbé Firmin-Éloi de Rayphusce.

— Ce nom ne m’est pas inconnu, dit à son tour Sacqueville.

— Et maintenant, mon cher, enfant, dit l’abbé, qui changea son accent un peu militaire pour celui de l’onction tout ecclésiastique, s’assit sur quelque tumulus improvisé par le massacre et