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la bataille de morsang
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Enfin elle prit mie pierre, qui fit une double besogne : le caillou atteignit Sacqueville à la lèvre, et le coin de sa bouche saigna. Un peu de terre humide se détacha de la pierre pendant sa trajectoire. La boue arriva avant la pièrre et s’éclaboussa sur la poitrine de l’homme nu, à gauche. Erbrand Sacqueville essuya le sang avec sa main droite, pas avec l’autre, car le frôlement de son avant-bras aurait pu écailler sa décoration de boue, qui, malgré le point percuté, ne lui avait pas fait mal au cœur.

Et c’était sa première relation à même la chair avec Jeanne Sabrenas. Il la salua, de la tête, avec une parfaite politesse.

Jeanne s’arrêta à six pas, parce que c’est la distance réglementaire et peut-être parce que c’était le chiffre des charges du barillet qu’elle s’exaspérait de voir vide, car c’était son premier tonnelet de cantinière.

— Pardon, dit-elle, je ne vous avais pas reconnu, militaire.

Pour elle, la nudité était un uniforme.

Elle y retrouvait autre chose que le fiancé qu’elle n’avait connu qu’habillé et la même chose, sinon mieux, qu’elle cherchait chez tous.

Et la bouche rouge et les deux seins de l’homme, maître du champ, étaient trois étoiles de la couleur de là Planète Rouge.

Par pudeur peut-être, ou par vice, elle regarda les autres, plus vêtus.

— Ils ne sont pas morts, dit-elle.

— Où étiez-vous ? dit Sacqueville.

— Là, à l’abri du gros arbre. Je me suis levée quand ils ont pris aussi le matelas. Et puis je suis sortie parce que les canons étaient trop près. Ils couvraient le reste, comme un locataire au-dessus, qui n’est pas tranquille.

— Pourquoi aviez-vous le revolver ? Pour tuer des ennemis selon l’ordonnance ?

— Oh non ! — Elle eut un sourire d’adorable innocence. — J’ai voulu une arme pour qu’on ne me viole pas.

— Et les six hussards sur le matelas ? dit Sacqueville. J’oublie, c’est vrai : ils n’étaient que six.

— Et surtout, dit-elle, vous saviez bien que je m’appelle Jeanne, comme l’autre.

— Jehanne, dit Sacqueville.

— Avec un h, parce qu’èlle s’essoufflait. C’est pour cela qu’on l’a appelée Jeanne Hachette.

— Ce n’est pas la même, dit Sacqueville.

— Je sais bien : la vraie, on l’appelle : la Pucelle d’Orléans ; mais au couvent on m’a appris qu’elle était née à Domrémy, près