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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/510

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la revue blanche

de Vaucouleurs. Je suis une jeune fille bien élevée qui ne permettrait point qu’on lui parlât autrement que par noms d’oiseaux…

— Duvet et pétales, dit-il.

— Je sais mon histoire et ma géographie : elle, on ne l’a appelée Pucelle qu’après Orléans.

— Nulle n’est pucelle en son pays, sententia Sacqueville.

— Elle a pu être faite Pucelle sur le champ de bataille, dit très naïvement la fille.

Et, le barillet nourricier de mort étant vide, ils n’eurent rien de mieux à faire que d’explorer des yeux l’étendue du champ.

— Ils ne sont pas morts ! cria-t-elle de nouveau, plus douloureusement. Ils ne sont pas morts ! J’ai tout vu, mais c’est impossible. Tu n’as pu les tuer, tu n’es pas soldat, puisque tu es tout seul. Ils dorment, tout bonnement, et ils ont raison : il fait à peine jour.

Elle sourit comme d’une idée espiègle. Prolongeant la vibration légère de son sourire presque rire, parallèle à l’aube presque jour, son pied butait en même temps contre un long clairon encore dans la crasse d’un poing. Elle le ramassa et suça l’embouchure souillée.

— Le clairon de garde a fait la bombe et roupille, dit-elle, mais le réveil est à cinq heures.

Elle vérifia, à une petite montre très simple.

— Taupin m’a appris un peu.

Son pantalon d’uniforme, ses guêtres blanches, la vêtaient en petit élève-clairon fort acceptable. On n’aurait pas vu que ses boucles blondes n’étaient point à l’ordonnance, si elle n’eût perdu son képi à sa bataille contre Sacqueville. Ses joues poupines se gonflaient.

Et, de même que Sacqueville avait lancé ses commandements du centre exact de tous les échos, entre les collines de la vallée, elle sonna le Réveil.

Elle sonnait faux, et deux ou trois notes eurent l’air de baisers sur l’embouchure : de simples baisers, ce qui ne comptait, pas pour la fille : des pékins de baisers. Mais les sonorités étranges prenaient un timbre exotique, immémorial ou divin. Les douze échos, dans une discipline ou un culte pour le moins de dulie, répercutaient, amplifiaient, fuguaient et variaient le cri de la trompette. Involontairement, Sacqueville associait aux notes les paroles militaires :

Soldat, lève-toi,
Soldat, lève-toi — bien vite.
Si tu n’veux pas t’lever
Fais-toi porter malade…