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Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/511

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la bataille de morsang
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Il n’y en avait pas un seul qui ne se fût fait « porter malade », et, comme on disait au temps de la chevalerie, « porter par terre ».

À même la rose du cul du clairon, puisque sa bouche est à l’opposite, par où il parle, Fleur-de-Sabre, le Réveil achevé par elle flambant encore dans les derniers échos, sonnait toujours, vers les morts :

Aux caporaux, les évoquant par leur grade, accompagné, d’une syllabe obscène, monosyllabique et réglementaire, qui se faisait, au fond de l’insulte, éplorée et amoureuse :

Aux sergents :

Sergent, tentant…
Sergent, tentant…

Au sergent-major et au tambour-major :

Au rapport sergent-major…
…Il a cinq pieds six pouces
Et des galons en or !

Elle essaya de les corrompre par l’or, et sonna pour les paysans pauvres, « aux lettres » — pour eux : les mandats :

…Des nouvell’s du pays.

Et, « au pas gymnastique », la visite du médecin :

Le voilà qui vient…
.....main,
.....bien.
Il ne vous dira rien.

Elle se retourna, indignée, vers Sacqueville, après un « couac » de sa trompette : du pavillon dégouttaient des larmes :

— C’est toi qui « fais » faux, tu ne sais pas l’air.

Car debout à ses côtés, dans la vallée, où l’aube humide fumait, il fredonnait malgré lui, deux octaves au-dessous du cuivre grave :

Quando Judex est venturus…

Et pour ne pas se mettre dans le chemin de Fleur-de-Sabre qui courait partout, derrière son ciairon, comme un équilibriste suit, sur son nez, une plume de paon, il s’était assis, sans penser à mal, par terre :

Judex ergo cum sedebit…

— Veux-tu pas dire de cochonneries ? cria la fille furieuse.

Et elle s’en prit aux morts, elle leur coiffa l’oreille du pavillon de cuivre vibrant, elle se jeta sur des corps qu’elle embrassa, elle en secoua d’autres et en gifla d’autres et en resecoua les mêmes, avec de gros mots et des jurons grossiers.