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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/100

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toyablement dans ses Dialogues et dans son Prométhée. Les apologistes chrétiens, si actifs au iie siècle, avaient une autre façon de médire des dieux, mais leurs sévérités n’étaient pas en désaccord avec les ironies que prodiguait Lucien, en se moquant de l’Olympe à cœur joie. D’autre part, Syrien hellénisé, il restait fort indifférent aux destinées de l’Empire. On ne trouve chez lui presque aucune trace d’esprit civique. Il était donc entièrement dégagé des inquiétudes patriotiques, des croyances ou des superstitions où s’alimentait communément l’hostilité antichrétienne. Mais cela ne signifie point qu’il dût avoir pour les chrétiens le moindre goût, car toute « foi » l’agaçait, et il était, je l’ai dit, de ces esprits pour qui le surnaturel demeure lettre close et postulat impensable.

En fait, il n’a pas très souvent parlé d’eux. On a cru parfois relever chez lui certaines allusions voilées, qui me paraissent des plus problématiques[1]. Les passages dont le sens est certain figurent, les uns dans le Peregrinus — ce sont les plus substantiels et les plus significatifs — les autres dans l’Alexandre.

L’opuscule sur la Mort de Peregrinus est un des plus jolis de Lucien. Ce Peregrinus — qui, à en croire Lucien,

  1. La baleine monstrueuse qui, dans l’Histoire Véritable, I, 30 et s., avale un vaisseau avec tous ceux qu’il porte, serait une parodie de l’aventure de Jonas. Une scène d’exorcisme est décrite sur le mode ironique dans le Philopseudès, ch. xvi, parmi une série d’autres « galéjades » absurdes, telles que le bon public les absorbe avec satisfaction. Renan voulait que Lucien eût pensé aux chrétiens « en traçant dans les Fugitifs cette peinture d’un monde de bohémiens, impudents, ignorants, insolents, levant des tributs véritables sous prétexte d’aumônes, etc. » (Marc-Aurèle, p. 374). Selon Planck (Theol. Studien und Kritiken, 1851, 2, p. 856 et s.), Lucien aurait songé aux martyrs chrétiens, spécialement à Polycarpe, l’évêque de Smyrne, en racontant la mort volontaire de Peregrinus. Toutes ces prétendues allusions, à les étudier dans leur contexte, se révèlent contestables et arbitraires.