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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/101

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se donnait volontiers à lui-même le surnom de Protée — n’était pas un personnage fictif[1], et son suicide théâtral, en 165[2], demeurait fameux dans le souvenir des foules. Il avait sa statue à Parium, sa ville natale, et cette statue passait pour rendre des oracles. Il n’est pas impossible que le Peregrinus réel ait été tout autre chose que l’imposteur follement vaniteux dont Lucien trace le portrait. Aulu-Gelle, qui l’avait connu personnellement, parle de lui avec beaucoup de respect et lui attribue des maximes fort édifiantes sur l’horreur du sage pour tout péché, même secret. Quoi qu’il en soit, voici la contexture du récit de Lucien.

Il raconte qu’un jour, dans le gymnase d’Élée, il entendit un philosophe cynique qui, d’une voix forte et rude, parmi toutes sortes d’invectives à l’adresse de ses auditeurs (tel était le ton coutumier de la secte), célébrait les vertus de Peregrinus-Protée. Il apprend que Peregrinus a annoncé qu’il se brûlerait sous les yeux de tous aux prochains jeux Olympiques. — Mais un autre orateur succède au premier et fournit la contre-partie de l’apologie esquissée par le cynique. Il rappelle sur le mode hilare la peu édifiante carrière de Peregrinus, qu’il semble connaître de longue date. À peine arrivé à l’âge d’homme, Peregrinus s’est compromis dans des aventures scandaleuses, dont il ne s’est tiré que d’une façon fort humiliante ou fort onéreuse. Il a en lui l’étoffe d’un parfait scélérat. Comme son père s’obstinait à prolonger sa vie par delà la soixantaine, il l’a bel et bien étouffé. Peu après cet abominable exploit, il a

  1. Aulu-Gelle, Nuits Att. XII, 11 ; Tatien, Oratio adv. Gr., 25 ; Athénagore, Leg., 27, etc.
  2. Pour cette date, cf. saint Jérôme, Chronique, p. 204, éd. Helm.