Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/320

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gnait sa prêtresse, en proie au délire, avec sa chevelure farouchement éparse.

C’est toi, à Dieu très grand, c’est toi dont j’invoque ici le témoignage. Alors que j’étais tout jeune encore, j’ai entendu celui des empereurs romains qui occupait le premier rang — l’infortuné, oui vraiment, l’infortuné, puisque son âme était dupée par l’erreur — s’informer anxieusement auprès de ses satellites de l’identité de ces « justes », « qui se trouvaient sur la terre ». — « Ce sont sûrement les chrétiens ! » lui répondit un des sacrificateurs de son entourage.

Il absorba cette réponse, comme si c’eût été du miel, et il tira l’épée, inventée pour le châtiment des coupables, contre la sainteté irréprochable…

Le mutisme subit dont gémissait la prêtresse d’Apollon dut faire sur Dioclétien une impression d’autant plus vive qu’un fait analogue s’était passé devant lui quelque temps auparavant[1]. Il était en train de consulter les entrailles des victimes, pour y lire l’avenir dont (nous dit Lactance) il était fort préoccupé, quand les aruspices lui notifièrent avec une vive émotion qu’ils ne discernaient plus les indices ordinaires, et que l’extispictum ne donnait rien. Leur chef, un certain Tagis, imputa cette paralysie inaccoutumée à la présence « d’hommes profanes ». En effet, explique Lactance, des chrétiens de la maison impériale, s’étant trouvés présents à la cérémonie, avaient fait leur signe de croix, et du même coup mis en fuite les démons qui coopéraient à ces rites idolätriques. Dioclétien, furieux de sa déconvenue, prescrivit à tout le personnel du palais de sacrifier, sous peine du fouet. Même ordonnance fut portée à l’égard de l’armée, et les soldats qui s’y dérobèrent s’exposèrent à en être chassés.

M. Henri Grégoire a mis en valeur, dans les Mélanges

  1. Lactance, De Mortibus Persec., X (Corp. Script. Eccl. lat., xxvii, 184).