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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/344

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piquante, à raffiner sur le tour, à enchâsser savamment dans leurs phrases des réminiscences de classiques, — hémistiche de Virgile, malice d’Horace, sonorité de Cicéron[1]. C’est justement cette volonté de faire un sort à chaque pensée, qui nous rend fastidieuse parfois la lecture de leurs œuvres.

Or, par réaction contre des préoccupations si futiles, les écrivains chrétiens se plaisaient à répéter que le style n’a aucune importance ; que la rhétorique n’est qu’une mâîtresse d’erreur ; que peu importent les barbarismes et les solécismes pourvu qu’on se fasse comprendre ; et que, loin de rougir de leur rusticitas ils la préféraient aux vaines parures de la pensée[2]. — Ce disant, ils se montraient aussi peu sincères que l’était jadis Sénèque, quand il se laissait aller à des déclarations du même genre[3]. Loin de rejeter les techniques qu’ils affectent de mépriser, les auteurs chrétiens s’y conforment soigneusement, pour la plupart. Et l’on sait de reste la place que la rhétorique même usurpe dans leurs œuvres. Mais par leurs façons de disqualifier toute forme d’art, ils créaient contre eux un préjugé que leurs adversaires furent heureux d’exploiter, en se prévalant de ces fâcheuses et paradoxales déclarations[4].

  1. Ce goût du fucus, du blandior sonus, est fort bien défini par Lactance, Inst. Div., V, 1 (Brandt, I, p. 401). Saint Augustin connaît des puristes qui trouvaient des barbarismes chez Cicéron lui-même ! (De Ordine, II, 15, 45 ; Migne, 33, 1016).
  2. Textes innombrables. Un bon choix, de Karl Sittl, dans l’Archiv. für latein. Lexicog., VI, 560 et s.
  3. Ép. 40, ; 100, 4 et s. ; 115. — Rappelons que la Correspondance entre Sénèque et saint Paul, forgée très probablement au ive siècle (v. ici p. 25), prouve l’anxiété où l’accusation de mal écrire jetait certains chrétiens.
  4. Voy. saint Augustin, De Doctr. Chr., IV, vii, 16 « Male doctis hominibus respondendum fuit, qui nostros auctores contemnendos putant, non quia non habent, sed quia non ostentant, quam nimis isti diligunt, eloquentiam. » — Saint