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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/37

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entendre de la façon la plus explicite, et à diverses reprises, qu’un soupçon atroce grandit peu à peu dans les masses. La conflagration n’aurait-elle pas été provoquée par un ordre formel de Néron ?

Certes, on ne pouvait reprocher au prince d’être resté inerte devant le désastre. Dès que les nouvelles s’étaient aggravées, il était revenu d’Antium ; il avait ouvert aux sinistrés sans abri les édifices publics et ses propres jardins ; il avait fait construire en toute hâte des baraquements, réquisitionné des meubles à Ostie et dans les villes voisines, distribué du blé presque pour rien. — Ces mesures énergiques ne faisaient pas taire les méchants bruits. On prétendait que, pendant l’incendie, ce monomane de littérature, ce dilettante incorrigible, était monté sur une hauteur d’où se découvrait à lui le panorama terrifiant, et que, une lyre entre les mains, il avait chanté la ruine de Troie, par une allusion aisée à comprendre, mais souverainement déplacée, à la calamité présente. On remarquait aussi que, quelque zèle qu’il mît à reconstruire Rome plus belle, plus salubre, plus prestigieuse encore qu’elle ne l’était auparavant, il était en train de satisfaire sans compter une de ses plus folles ambitions, en se faisant bâtir pour son propre usage cette fameuse Aurea Domus qui devait couvrir plus d’un mille carré, et où il allait accumuler les plus dispendieuses magnificences.

N’était-il pas évident qu’il avait voulu, au prix d’un attentat inouï, réaliser ce rêve d’une Rome, d’un palais enfin dignes d’un artiste tel que lui, qui hantait depuis longtemps son imagination sans frein ?

Néron ne pouvait ignorer l’état d’esprit de la multitude et, quelque conscient qu’il fût de son pouvoir, il était bien