Aller au contenu

Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obligé d’en tenir compte, et de ménager l’opinion. Il essaya d’apaiser les ressentiments, justifiés ou non, en multipliant les parades religieuses. Les livres sibyllins furent solennellement consultés et, d’après leur réponse, on fit toutes sortes de prières publiques et de cérémonies expiatoires, auxquelles les dames romaines durent coopérer de leur personne.

Mais il fallait trouver quelque combinaison plus impressionnante, et qui offrît un plus efficace exutoire à l’émoi populaire.

C’est ici que se place le fameux chapitre 44.

Ni les secours humains, ni les largesses du prince, ni les expiations ne pouvaient faire reculer le soupçon infamant que l’incendie avait eu lieu par ordre.

Pour faire taire cette rumeur, Néron substitua des accusés et infligea les tortures les plus raffinées à des hommes, odieux à cause de leurs abominations, que le vulgaire appelait chrétiens[1]. Celui dont ils tiraient ce nom, Christ, avait été, sous le règne de Tibère, livré au supplice par le procurateur Ponce Pilate. L’exécrable superstition, réprimée un instant, faisait irruption de nouveau, non seulement en Judée où le fléau avait pris naissance, mais jusque dans Rome où tout ce que l’univers produit d’atrocités et d’infamies afflue et trouve des adeptes.

On se saisit d’abord de ceux qui avouaient ; puis, sur leurs indications, d’une multitude considérable, convaincue, moins du crime d’incendie, que de haïr le genre humain. Aux agonies on ajoute la dérision : des hommes enveloppés de peaux de bêtes périrent déchirés par les chiens, ou attachés à des croix, ou réservés au feu, et, à la tombée du jour, allumés en guise de flambeaux nocturnes. Néron avait prêté ses jardins pour ce spectacle, et y donnait des jeux de cirque, mêlé à la foule en habit de cocher, ou monté sur un char.

Aussi, bien que ces hommes fussent coupables et dignes des dernières rigueurs, une pitié s’élevait dans les cœurs, parce qu’ils semblaient sacrifiés, non à l’intérêt général, mais à la cruauté d’un seul.

  1. « Quos per flagitia invisos vulgus Christianos appellabat. »