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Page:Labriolle - La Réaction païenne, 1934.djvu/85

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bien que l’indifférence. » Dans les Actes d’Apollonius, un philosophe cynique intervient pour reprocher au martyr de traiter les autres d’aveugles, alors que c’est lui qui se fourvoie[1].

Mais ce qui n’est pas moins certain, c’est que beaucoup de chrétiens ne refusaient pas leur sympathie aux propagandistes du cynisme, de même que les observateurs païens qui étudiaient d’un peu loin l’action pratique des deux doctrines pouvaient, sans mauvaise foi, être tentés de les confondre. Ne voit-on pas Lucien de Samosate promener son Peregrinus du cynisme au christianisme, comme si le passage de l’un à l’autre eût été chose toute facile[2] ? Le cynisme raillait la religion établie, les légendes traditionnelles ; il les déclarait immorales, absurdes, irrecevables, et n’épargnait même pas les mystères les plus vénérés. Il s’élevait avec force contre certains usages ou certains vices que le christianisme essayait aussi de déshonorer : par exemple l’exposition des enfants, la pédérastie, la guerre même. Enfin les prédicateurs de cynisme ne se confinaient pas en étroits cénacles, avec quelques auditeurs de choix. Ils s’adressaient aux masses ; ils les endoctrinaient ouvertement. Leur accoutrement habituel — manteau, besace au dos, bâton en main, cheveux longs — était familier à tous. Cette propagande à ciel ouvert, ce franc-parler ne déplaisait pas aux chrétiens. Origène loue les cyniques de s’efforcer de grouper autour d’eux, non pas les gens « cultivés », mais des prosélytes illettrés, qu’ils recrutent dans les carrefours. Et s’il constate sur ce point une supériorité du côté des chrétiens, c’est que ceux-ci n’instruisent pas

  1. Trad. Monceaux, La vraie Légende dorée, p. 154.
  2. Cf. ici p. 101 et s.