Aller au contenu

Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
107
LE BRACELET DE FER

Ce serait si facile de s’égarer sur cet immense lac !

— Roberval ?… demanda-t-elle, comme pour avoir la satisfaction d’entendre sa propre voix.

Le Sauvage fit un signe affirmatif, puis il souffla dans le porte-voix qu’il portait suspendu à son cou. Mais si ces coups de porte-voix étaient un appel, ils ne reçurent pas de réponse… Cœur-Franc paraissait-il inquiet ?… Nilka le crut vraiment.

— Inquiet ? fit-elle.

Mais le Sauvage haussa les épaules et fit un signe négatif ; il ne comprenait pas.

La jeune fille se demanda, plus d’une fois, durant cette traversée, de L’Épave à sa destination, comment il se faisait que Raphaël Brisant avait envoyé ce Sauvage la chercher. Pourquoi n’était-il pas venu lui-même ? Ou pourquoi Joël ne s’était-il pas offert ? Sans doute, ce pauvre Joël était auprès de son maître… Quant à Raphaël Brisant, il lui eut été impossible, probablement, de conduire une chaloupe, au milieu de la brume… Eh ! bien, il ne s’agissait que d’être patiente ; dans une heure maintenant ; dans trois quarts d’heure peut-être, elle les verrait tous, car il y avait plus d’une heure qu’elle naviguait sur le lac St-Jean, avec son silencieux compagnon.

Le Sauvage venait de souffler, de nouveau, dans son porte-voix, et, cette fois, de loin — oh ! de très loin — arriva le son d’un autre porte-voix ; on était dans la bonne direction, bien sûr ; bientôt, on atteindrait le rivage.

Que le temps lui paraissait long, à cette pauvre Nilka ! De se dire que son père souffrait, et qu’il devait appeler sa fille, à grands cris, cela lui causait de véritables tourments.

— Pauvre, pauvre petit père ! se disait-elle. N’avait-il pas une sorte de pressentiment d’un malheur, au moment de quitter L’Épave, puisqu’il est revenu me dire bon jour et me donner un baiser. Ce pauvre père chéri ! Il craignait de m’avoir fait de la peine, en insistant à partir pour Roberval, malgré mes conseils et ceux de Joël ; malgré la brume qui menaçait, malgré tout… Oh ! Qu’il me tarde de le revoir ! Père ! Père !

Soudain, elle se mit à pleurer ; elle avait tant hâte d’arriver à Roberval… de revoir son père… N’arriverait-on jamais ?… Ou bien, arriverait-on trop tard ?…

Impassible, le Sauvage regardait pleurer Nilka. Impassible ?… N’aurait-on pas cru plutôt discerner un sourire méchant sur ses lèvres épaisses ?… Nilka en était presque certaine, et son cœur fut étreint d’un noir pressentiment… En fin de compte, elle était à la merci de ce Sauvage, perdue dans la brume… Raphaël Brisant devait être bien sûr de cet homme cependant, puisqu’il lui a confié la mission de la conduire à Roberval… Mais, ces sortes de gens… ces sauvages… pouvait-on avoir entière confiance en eux ?… il y avait si longtemps que la pirogue s’était détachée de L’Épave ! Ne devrait-on pas être rendu à destination, depuis longtemps déjà ?…

Comme si Cœur-Franc eut le don de lire les pensées, les soupçons de la jeune fille et qu’il eut voulu la rassurer, il souffla dans son portevoix trois fois. Aussitôt, une réponse arriva du rivage ; on approchait de terre ; on approchait vite ; bientôt, on accosterait !

Maintenant, ce n’étaient qu’appels et réponses réitérés, toujours au moyen de porte-voix ; appels et réponses qui disaient bien haut qu’on allait accoster dans quelques instants. Quel bonheur pour Nilka de les revoir tous : son père, moins souffrant peut-être ; de retrouver Joël aussi, dans la paisible demeure des Brisant !…

Enfin, la pirogue accostait ! Mais la brume était si dense qu’on ne pouvait même apercevoir la maison des Brisant, qui, pourtant, n’était séparée du rivage que par la largeur du chemin.

— Joël ! M. Brisant ! Mme Brisant ! appela Nilka, au moment où elle mettait pied à terre.

Ne recevant aucune réponse, elle appela de nouveau, d’une voix plus forte, plus inquiète :

— Joël ! M. Brisant ! Pourquoi ne me répondez-vous pas ?

Au lieu de la réponse qu’elle attendait, elle sentit qu’on la saisissait qu’on l’enveloppait dans un manteau ou une couverte quelconque, puis une voix qu’elle ne reconnut pas, lui commanda :

— Silence !

Prise d’épouvante, elle voulut crier, appeler au secours, mais on la bâillonna, puis elle se sentit soulever de terre, saisie dans des bras nerveux et forts, ensuite, au balancement assez rude qu’elle éprouva, elle comprit qu’elle était sur le dos d’un cheval.

C’était un enlèvement ! Impossible pour elle d’en douter ! La lettre, signée du nom de Raphaël Brisant, c’était un guet-apens !… Mais, qui donc pouvait lui vouloir du mal ?… Et, où était-elle ?… Pas à Roberval, bien sûr… Car, son père n’était pas malade… Ce Sauvage à l’aspect si repoussant, avec qui elle venait de parcourir une si longue distance, sur le lac embrumé, qui était-il ?… Qui l’avait envoyé à L’Épave ?… Hélas, ces questions que se posait Nilka devaient rester longtemps sans réponse… toujours peut-être…

Elle essaya, encore une fois d’appeler au secours ; mais elle était bâillonnée, et le bâillon avait été trop bien ajusté pour lui permettre même d’ouvrir la bouche ; de plus, quiconque la tenait dans ses bras la tenait tellement serrée contre lui qu’elle n’eut pu faire un seul mouvement.

Le souffle sembla lui manquer soudain ; une sueur froide inonda son visage et ses mains, puis, elle s’évanouit.

Chapitre V

L’AMOUR D’UN SAUVAGE


Quand Nilka reprit connaissance, elle vit qu’elle était couchée sur un méchant grabat, dans une masure au pavé en terre battue. Cette masure lui parut d’abord, n’être que d’une seule pièce ; mais, une porte s’ouvrit soudain, à l’une des extrémités de la pièce principale, pour livrer passage à une femme ; une Sauvagesse à la repoussante physionomie.

— Yatcha ! murmura Nilka, reconnaissant immédiatement cette femme, qui l’avait tant ef-