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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/111

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LE BRACELET DE FER

— Tais-toi, misérable ! s’écria Nilka. Comment ! reprit-elle, nous t’avons fait l’honneur de te recevoir chez nous, et c’est ainsi que tu nous prouves ta reconnaissance ; en dénigrant mon père chéri, en m’enlevant à son affection ! Mais, réponds-moi ; pourquoi m’as-tu fait enlever, Towaki ? Pourquoi m’as-tu entraînée dans cette sale masure ?

— Tu veux savoir, Lys Blanc ?… Eh ! bien, je vais te le dire. Je t’aime ! s’exclama-t-il. Je t’aime ! Oh ! combien je t’aime ! Et tu seras retenue prisonnière dans « cette sale masure » comme tu le dis, tant que tu n’auras pas consenti à m’épouser.

— Consenti à… quoi ?… À t’épouser !… As-tu perdu la raison, Towaki ? s’écria Nilka, au comble de l’horreur. Moi ! T’épouser ! Toi ! Un Sauvage !

Le visage de Towaki devint effrayant.

— Tu m’insultes ! fit-il. Mais j’aurai raison de toi !… J’ai changé d’idée maintenant ; je ne te donne que jusqu’à demain soir, pour décider si tu m’épouseras ou non. Jusqu’à demain soir, entends-tu ?

— Jamais ! Jamais ! cria la jeune fille. Une blanche n’épouse pas un Sauvage… Ce serait… un… crime, je crois !… Il me semble que je suis, en quelque sorte, contaminée, par le fait que tu as osé lever les yeux sur moi ! ajouta-t-elle, le visage tout défait, tandis que des frissons de dégoût la secouait de la tête aux pieds.

— Demain soir, de bonne heure, je reviendrai ! tonna Towaki, dont la voix tremblait de colère. Il y va de ta vie, Lys Blanc ; car, si, demain soir, tu me reçois comme tu l’as fait ce soir ; si, en un mot, tu refuses de devenir ma femme, ça sera pire pour toi, crois-le ! Je connais un moyen, moi, de te faire consentir à devenir ma femme, et ce moyen, je m’en servirai !

Towaki se dirigea vers la porte de sortie ; mais au moment de partir, il se tourna vers la jeune fille et dit :

— Écoute !… Entends-tu hurler les loups ?… Ils rôdent autour de cette maison ; des loups affamés et féroces, qui ne feraient de toi qu’une bouchée, Lys Blanc, si tu essayais de t’enfuir… Les loups… je te laisse sous leur… garde, dit le Sauvage en riant d’un rire terrible, et aussi sous la garde de Yatcha, ma mère ; des deux : de Yatcha et des loups, je ne sais trop laquelle est la plus… sûre. À demain soir donc ! Et, si tu es sage, Lys Blanc, après demain matin, nous serons mariés tous deux, par le prêtre de Roberval. Sinon, je le jure, tu ne sortiras pas vivante d’ici !

— J’aimerais mieux mourir… commença Nilka.

— C’est parce que tu ne sais pas le sort qui t’attend que tu parles ainsi, fit le Sauvage. Tu ne te doutes pas du moyen que j’emploierai pour te faire consentir à devenir ma femme, et tu ne sais pas, non plus, ce que c’est que l’amour d’un Sauvage, pour me servir de ton expression de tout à l’heure. L’amour d’un Sauvage, vois-tu, Lys Blanc, ne recule devant rien, rien, entends-tu, rien ! Plutôt que te voir en épouser un autre que moi, j’aimerais mieux te voir morte. Encore une fois, à demain, future madame Towaki ! acheva-t-il, avec un éclat de rire qui glaça le sang dans les veines de la jeune fille.

Ce-disant, le Sauvage quitta la maison, et bientôt, il se perdit dans la nuit.

Chapitre VI

LES GRANDS MOYENS


Un jeune cavalier, monté sur un cheval, noir comme la nuit, s’en allait sur la route. Il avait, depuis longtemps, dépassé la Pointe Bleue ; il venait de laisser derrière lui la Pointe des Sauvages. Déjà, les maisons se faisaient rares et, le cavalier le supposait bien, plus il avancerait, de plus en plus rares deviendraient les habitations ; bientôt, il tomberait en pleine forêt.

C’était à l’heure du crépuscule. Un grand silence, ce silence des régions isolées, flottait sur toute la nature. Ah ! voici les premiers arbres de la forêt ! Celui qui nous intéresse en ce moment porta la main à sa ceinture et aussi à la poche de son pantalon, afin de s’assurer de deux choses : la première, que sa carabine était à sa place et qu’elle jouait librement dans sa bandoulière ; la deuxième, que son revolver était bien à portée de sa main. Non qu’il craignit d’être attaqué, par homme ou bête ; cependant, la prudence est la mère de la sûreté, et quoique les naturels de ces régions eussent la réputation d’être très paisibles, très pacifiques, il valait mieux être sur ses gardes, car, les Sauvages sont des êtres que les blancs ne comprendront jamais parfaitement.

— Allons, se dit le cavalier, je n’ai pas eu un grand succès, jusqu’à présent ; je n’ai trouvé nulle part trace de celle que je cherche, ni à Roberval, ni à la Pointe Bleue, ni à la Pointe des Sauvages… Cependant, je n’abandonnerai mes recherches que lorsque je serai absolument convaincu qu’elle sont vaines. C’est le suprême désir d’un homme qui n’est plus que j’essaie d’accomplir, et je l’accomplirai, si possibilité il y a… Après tant d’années pourtant… C’est presque impossible… Dans tous les cas, chose certaine, c’est que je ne retournerai chez moi que quand j’aurai fait tout ce qu’il est humainement possible de faire… Tiens ! s’écria-t-il tout-à-coup, comme il fait noir, sous ces arbres, et que cet endroit est sauvage ! On n’y voit que des rochers et des cèdres et des cèdres et des rochers, à perte de vue. Je suppose qu’il n’y a pas un seul être humain dans toute cette solitude ; en revanche, les ours et les loups doivent s’y dandiner à l’aise… J’aurais fait aussi bien peut-être de continuer mon chemin en chaloupe, du moins, à partir de la Pointe Bleue… Cependant, ce n’est pas sur les côtes du lac St-Jean que je trouverai celle que je cherche ; c’est plutôt plus à l’intérieur des terres… Prosper n’est pas loin, je sais… Si je soufflais dans ce porte-voix, je paris qu’il me répondrait. Essayons !

Saisissant un porte-voix qu’il portait accroché à sa ceinture, il souffla dedans à deux ou trois reprises ; immédiatement, le son d’un autre porte-voix retentit, tout près.

— Oui, Prosper est là, reprit le cavalier ; il me suit en chaloupe. Encore un mille ou deux