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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/112

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LE BRACELET DE FER

à cheval et j’irai le rejoindre, puis nous camperons sous les cèdres, sur le bord du lac. Allons ! Marche, Negro !

Le cheval partit au galop, mais bientôt, Paul Fiermont (car nous avons deviné que c’était lui le jeune cavalier) l’arrêta net. Le silence, dans la forêt, était si profond, que le jeune homme voulait s’en imprégner, en quelque sorte.

— Nous qui habitons les villes, se disait-il, nous ne comprenons pas ce qu’est le véritable silence… Ce silence des régions isolées, je veux… l’entendre, puisque l’occasion s’en présente.

Rien ne bougeait dans la forêt ; les feuilles mêmes étaient immobiles, car il n’y avait pas un seul souffle de brise, et les oiseaux, perchés sur les branches, avaient, depuis longtemps, caché leurs jolies têtes sous leurs mignonnes ailes.

Soudain, à travers l’espace, un cri retentit ; un cri terrible ; le cri d’une femme, affolée de peur ; d’une femme qu’on devait martyriser ; à qui on devait faire subir quelque horrible torture. Ce cri venait du nord, vers lequel Paul Fiermont se dirigeait. À ce cri poussé par une voix de femme, se mêlait le hurlement du loup.

Un coup de cravache appliqué sur les flancs de Negro fit que celui-ci partit au galop. Bientôt, pourtant, le jeune cavalier se dit qu’il ne devrait faire aucun bruit. Qui sait ?… Celle que l’on torturait serait peut-être assassinée, si on soupçonnait que le secours n’était pas loin. Car, notre ami constata qu’il approchait de l’endroit d’où était parti le premier cri. Un second cri venait d’être lancé, plus terrible, plus désespéré encore que le premier, et ce dernier cri semblait venir de tout près… puis, ce hurlement du loup…

Une maison bien délabrée, perdue au milieu des cèdres, venait d’apparaître aux yeux de Paul, puis, une voix d’homme, lui parvint clairement.

— Promets de m’épouser, Lys Blanc, disait la voix, sinon, je vais me servir des grands moyens. Je te donne trois chances de consentir à devenir ma femme ; si tu persistes à refuser, tu sais ce qui t’attend… Ce câble est à moitié rongé… Si, à ma troisième demande, tu dis non, j’achèverai de couper le câble et… quel sort sera le tien !… Allons ! Consens-tu à m’épouser, Lys Blanc ?… Une fois…

— Jamais ! Jamais !… Ô Towaki, ait pitié !

Un tableau, qu’il verrait tout le reste de sa vie, venait de se présenter aux yeux de Paul Fiermont ; il vit une énorme cage en fer, dans laquelle deux loups étaient attachés, au moyen d’un simple câble, dont la moitié des brins avaient été rongés, ou coupés. À l’une des extrémités de cette cage, tout près du chemin, une jeune fille avait été attachée, les mains derrière le dos, à l’un des montants de la cage. Paul ne pouvait apercevoir son visage ; il vit seulement qu’une longue et opulente chevelure dorée la couvrait comme un manteau. Sur le dernier échelon d’une échelle, à l’extrémité opposée à la jeune fille, était un jeune Sauvage ; d’une main, il tenait un couteau ; de l’autre, un des bouts du câble, qu’il s’apprêtait à couper. Sur la pauvre victime les loups féroces essayaient de se précipiter ; seul, le câble à demi rongé, ou coupé, les en empêchait.

D’un seul coup d’œil, Paul avait vu l’affreuse tragédie qui se jouait dans la cage des loups ; il se dit que c’était tellement horrible que c’était presque incroyable. Ce Sauvage devait être inspiré de l’enfer, pour imaginer pareille torture !

Mais de nouveau, le jeune Sauvage parlait :

— Je te demande, pour la deuxième fois, Lys Blanc, disait-il ; veux-tu devenir ma femme ?… il ne te reste plus qu’une seule chance… et ce couteau coupe comme un rasoir… Quand je…

Un coup de feu venait de retentir, suivi, presque immédiatement d’un second. Le couteau était tombé des mains de Towaki : le Sauvage avait l’épaule et le poignet fracassés.

— Malédiction ! cria-t-il, tout en dégringolant le long de l’échelle. Il arriva sur le sol, évanoui. Les loups se mirent à hurler.

— Sauvez-moi ! Sauvez-moi ! cria Nilka, en tournant son visage du côté de celui qui venait de tirer les coups de feu.

— Nilka ! s’écria Paul, au comble de l’étonnement et de l’horreur. Mon Dieu ! C’est Nilka !

M. Laventurier ! s’exclama-t-elle. Oh ! Sauvez-moi ! De grâce, sauvez-moi ! Les loups !… Le Sauvage !…

Paul s’empressa de couper, avec son canif, les liens qui retenaient les mains de la jeune fille, puis il lui dit, parlant très précipitamment :

— Courage, Nilka, ma toute chérie ! Je vais vous sauver ! Vous allez grimper à même les montants de la cage, et je vous saisirai dans mes bras, aussitôt que vous serez parvenue au sommet. Ces traverses… posez-y les pieds, et surtout, ne craignez rien. Je vous sauverai, ou je mourrai avec vous, Nilka. Negro ! appela-t-il.

Le cheval arriva en courant, mais, apercevant les loups, il se mit à renâcler, à plonger, à se mâter et à donner tous les signes d’une extrême frayeur. Mais, à la voix de son maître, il se calma un peu.

Paul se leva debout sur sa selle ; de cette manière, il serait à peu près de niveau avec Nilka, lorsqu’elle atteindrait le sommet de la cage.

— Vite ! Montez ! cria-t-il, en s’adressant à la jeune fille. Ne regardez pas derrière vous ! il n’y a aucun danger, si vous essayez de gardez votre sang-froid. Montez ! Je vous attends !

Il venait de voir les loups qui, comme s’ils avaient compris, par instinct, qu’on allait leur arracher leur proie, essayaient de couper, avec leurs dents aigues, le câble, déjà usé, qui les retenait.

Nilka se mit à grimper. Ce n’était rien de difficile, vu les travers sur lesquels elle pouvait poser les pieds. Mais, elle tremblait tellement, la pauvre enfant ; elle venait de passer par de telles angoisses, qu’elle avait peine à se tenir sur ses jambes.

Tout se fit ainsi que Paul l’avait imaginé cependant, debout sur le dos de son cheval, il reçut la jeune fille dans ses bras, puis il retomba brusquement sur sa selle ; Negro, que les