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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/114

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LE BRACELET DE FER

voix, fit accourir sur l’arrière-pont Alexandre Lhorians et Koulina ; ils étaient persuadés que c’était Joël.

— Nilka ! Nilka ! cria l’horloger en apercevant sa fille. Ô ma fille chérie !

— Père ! Père bien-aimé !

— Blanche Colombe ! s’exclama Koulina.

— Bonne Koulina ! répondit la jeune fille.

— Joël t’a donc retrouvée, Nilka ? Ô ma fille, si tu savais dans quelles angoisses nous a jetés ta disparition ! Ma fille ! Ma fille !

— Vous parlez de Joël, père ?… Mais non, père, ce n’est pas Joël qui m’a trouvée et ramenée ici ! C’est ce monsieur, ajouta-t-elle ; il m’a sauvée de la plus horrible des morts.

M. Lhorians ! fit Paul, en saluant le père de Nilka.

— Monsieur, répondit l’horloger, en tendant la main à Paul, comment vous exprimer la reconnaissance…

— N’en parlons pas, M. Lhorians, je vous en prie… commença Paul.

— Ne vous ai-je pas rencontré, quelque part, déjà ? demanda Alexandre Lhorians à notre jeune ami.

— Certainement ! Je suis allé à votre magasin, à Québec, certain jour.

— Pardon alors !… Je n’ai pas la mémoire des noms, quoique j’aie celle des figures… Vous êtes Monsieur ?…

— Paul Fiermont, répondit le jeune homme, en jetant à Nilka un regard, qui semblait implorer son pardon. Serait-il pardonné ?…

Chapitre VIII

FIANÇÉS


« Paul Fiermont » ! Ce fut un réel coup de théâtre. Sur le visage de Nilka se reflétait le plus extraordinaire étonnement, tandis qu’elle lançait au jeune homme un regard chargé de reproches.

M. Paul Fiermont ! s’était écrié Alexandre Lhorians. Alors, M. Fiermont, je vous souhaite la bienvenue sur ce bateau, qui est le vôtre. Mais, veuillez me suivre ; je vais vous conduire à la salle à manger, car le souper est prêt. Viens, Nilka, ma chérie ! ajouta-t-il. Tu nous raconteras tes aventures pendant que nous serons à table, si tu ne te sens pas trop fatiguée.

Nilka dit tout ; elle raconta l’arrivée, sur L’Épave de Yatcha, personnifiant Cœur-Franc ; elle parla de la lettre, signée du nom de Raphaël Brisant, que la Sauvagesse lui avait remise. Elle décrivit la traversée du lac embrumé ; puis l’arrivée de la pirogue à la Pointe des Sauvages, suivi de son enlèvement ; son séjour dans la masure de Towaki ; l’horrible drame qui s’était passé dans la cage des loups ; l’arrivée de Paul, et son sauvetage.

Inutile de dire quelles exclamations d’indignation et de pitié accueillirent ce récit. Alexandre Lhorians pleurait ; Paul, blanc comme un drap, crispait les poings.

— Je ne regrette qu’une chose ; c’est de n’avoir pas « achevé » ce jeune Sauvage ! s’écria-t-il.

— Towaki méchant, bien méchant ! ne cessait de répéter Koulina, à travers ses sanglots. Lui a brisé le cœur à Florella, fille de la tribu à moi. Oui, méchant, Towaki, bien, très méchant !

Après le souper, l’horloger s’excusa, disant qu’il allait se retirer dans son atelier ; un travail très important et très pressé, qu’il ne pouvait pas remettre au lendemain.

— Ma fille vous tiendra compagnie, M. Fiermont, ajouta-t-il. À moins que tu ne préfères te retirer dans ta chambre, Nilka, reprit-il, car tu dois être tout à fait épuisée, pauvre enfant ! En ce cas, je tiendrai compagnie à notre visiteur, avec plaisir, quitte à travailler toute la nuit ensuite. Mais la jeune fille rassura son père ; elle se sentait toute reposée, disait-elle, rien que de se savoir en sûreté chez elle.

— Veuillez me suivre, au salon, M. Lav… M. Fiermont, je veux dire.

— Vous m’en voulez, n’est-ce pas, Mlle Lhorians ? demanda-t-il, aussitôt qu’il fut installé près de Nilka, dans le coquet petit salon de L’Épave.

— Vous m’avez trompée, M. Fiermont, répondit-elle, d’une voix tremblante. Pourquoi m’avoir dit vous appeler M. Laventurier ?

— Chère Nilka, dit Paul, rappelez vos souvenirs, je vous prie ! Ce n’est pas moi qui vous ai dit me nommer Laventurier ; c’est Anatole Chanty, ce rustre, qui osa vous importuner, un soir, au Café Chantant.

— Est-ce qu’il ne savait pas votre nom ce M. Chanty ?

— Oh ! oui, il le savait. Mais, parceque j’ai, durant quelques années, mené une vie aventureuse, ce garçon croyait me lancer la pire des injures en m’appelant Monsieur l’aventurier. Comprenez-vous, Nilka ?

— Oui, je comprends très bien. Mais, pourquoi m’avez-vous laissé croire…

— Je sais ! Je sais ! J’ai eu tort, je l’avoue. C’était bien stupide de ma part, et tante Berthe m’avait prédit, dans le temps, que je pourrais payer cher cet enfantillage… Vous ayant laissé m’appeler une fois M. Laventurier, je n’ai pas osé vous détromper ensuite… Ô Nilka, ma toute chérie, dites que vous m’avez pardonné !

— Oui, je vous pardonne, répondit-elle.

— D’ailleurs, reprit Paul en souriant, vous aussi vous m’aviez trompé, et…

— Je vous ai trompée, dites-vous ? s’écria la jeune fille. Moi ?

— Mais oui ! fit Paul, toujours souriant. Sur le petit promontoire, là-bas… je vous avais prise pour une fillette de quatorze ans… et ne m’aviez pas détrompé.

Nilka partit d’un joyeux éclat de rire.

— Je le sais bien ! dit-elle. Et cela m’avait excessivement amusée. Je vous l’ai dit… Alors, oui, vous avez raison, M. Fiermont ; nous sommes quittes.

— Ne me direz-vous pas : « Je vous pardonne, Paul » ?

Elle hésita un moment, puis rougissante, elle répéta :

— Je vous pardonne, Paul.

— Merci, Nilka, chère bien-aimée !

La conversation qu’ils eurent ensemble, ce soir-là, serait trop longue à répéter ; qu’il nous