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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/115

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LE BRACELET DE FER

suffise de dire que, vers les dix heures et demie, lorsque sonna l’heure de se retirer chacun dans sa cabine, pour la nuit, tout avait été expliqué clairement entr’eux. Paul avait raconté à Nilka la visite qu’il avait eue de Joël, à son club, le soir même où il devait aller passer la veillée avec elle. Nilka, à son tour, parla de la visite que lui avait faite, ce même soir, Judith Rouvain.

Ils s’entendirent si bien, que, lorsqu’Alexandre Lhorians vint les rejoindre dans le salon, Paul avait avoué son amour à Nilka et il avait obtenu d’elle la permission de parler à son père, ce soir-là même. Les deux jeunes gens avaient ébauché des plans. Ils se marieraient dans cinq semaines ; ne s’aimaient-ils pas en secret depuis plusieurs mois déjà ?… L’Épave serait ramenée à la côte, pour l’hiver, et tous s’en iraient à la Banlieue, au « château ». Alexandre Lhorians ne serait pas séparé de sa fille ; Joël serait attaché au service personnel de l’horloger ; quant à Koulina, on trouverait bien à l’employer.

Paul avait aussi parlé de la mission dont il s’était chargée ; celle de retrouver, si possible, les traces de sa mère. Il avait montré à la jeune fille la lettre de Delmas Fiermont, qu’il avait toujours nommé « l’oncle Delmas » ; mais qui, en réalité, était son père. Quel intérêt Nilka avait montré dans ces recherches que faisait son fiancé ! Comme elle l’avait encouragé aussi, lui prédisant le succès de son entreprise !

— Vous me demandez la main de ma fille, M. Fiermont ? avait dit Alexandre Lhorians ? Vous l’aimez, dites-vous, et elle a consenti à vous épouser, si je n’y ai pas d’objections ?… Des objections… Eh ! bien, j’en aurais une, car… Voici, Nilka n’a pas de dot.

— Je vous en prie, M. Lhorians ! s’était écrié Paul.

— Je disais que Nilka n’a pas de dot, M. Fiermont ; mais elle sera, un jour, une riche héritière… Mon horloge de cathédrale, lorsque je serai parvenu à lui donner la perfection voulue, sera une des merveilles du siècle et la fortune qu’elle nous apportera, à moi et à ma fille…

— Ah ! oui, je comprends ! répondit Paul gravement. Car cette toquade de l’horloger lui paraissait plutôt pathétique et il se serait bien gardé d’en rire. Mais, en attendant, ma fortune personnelle sera amplement suffisante pour notre bien-être à tous, je crois.

— Je vous accorde la main de ma fille, M. Fiermont, annonça Alexandre Lhorians en se levant.

— Merci, M. Lhorians ! Merci ! Je la rendrai heureuse, je le jure ! s’écria le jeune homme, en se levant, lui aussi, car c’était l’heure de se retirer pour la nuit. Me permettez-vous, M. Lhorians, de donner à Nilka le baiser de fiançailles ?

— Oui, je vous le permets, répondit l’horloger, au moment de quitter le salon ; je vous le permets… si Nilka y consent, s’entend. Et Alexandre Lhorians se mit à rire ; c’était bien la première chose comique qu’il avait dite, depuis grand nombre d’années.

— Nous vous avons donné la cabine No 5, Paul, fit Nilka, après avoir reçu, et rendu, le baiser de son fiancé.

— La cabine No 5 ?… Ah ! oui ; sur le deuxième pont, n’est-ce pas ?

— Oui, sur le deuxième pont. Bonne nuit, Paul.

— Bonne nuit ! Rêves d’or, ma Nilka !

Chapitre IX

LA CABINE No 6


— Vous avez bien dormi, je l’espère, M. Fiermont ? demanda, le lendemain, au déjeuner, Alexandre Lhorians à Paul.

— Merci, M. Lhorians, j’ai dormi comme un loir… ou plutôt, j’ai dormi comme celui ou celle qui occupait la chambre voisine de la mienne ; la cabine No 6 je veux dire.

— La cabine No 6 ?… Vous étiez seul sur le deuxième pont, Paul, fit Nilka en souriant.

— Seul, dites-vous, Nilka ? Impossible ! J’ai certainement entendu une respiration régulière, de l’autre côté de la cloison, dans la cabine No 6.

— Koulina sait quoi frère blanc veut dire, intervint la Sauvagesse, qui se mêlait assez souvent à la conversation générale, car on ne l’avait pas encore réprimandée à ce sujet. Oui, Koulina sait ; ce être Carlo que le frère blanc entendu, bien sûr.

— Carlo ! s’écria Nilka. En effet, reprit-elle, le chien n’a pas couché sur le seuil de ma porte de chambre, la nuit dernière, ainsi qu’il a l’habitude de le faire ; il a dû coucher sur le deuxième pont alors.

— Mais, oui ! Je l’ai vu, répondit Paul. Le chien était près de la cabine No 6, lorsque je suis monté me coucher, hier soir. J’ai supposé que Carlo n’était pas tout à fait convaincu de mon honnêteté, et qu’il me surveillait de près, pour le cas où il me prendrait fantaisie de dévaliser L’Épave, ajouta-t-il, avec un éclat de rire auquel tous se joignirent.

— Carlo toujours sur deuxième pont, depuis hier, près de la cabine No 6, dit Koulina, et Carlo toujours veut que Koulina monte sur le pont avec lui, toujours. Carlo… drôle… fait peur à Koulina.

Comme si le chien eut deviné qu’on parlait de lui, il s’en vint dans la salle à manger et s’approcha de Nilka. On avait fini de déjeuner et on causait à table, avant de se disperser un peu partout sur le bateau, pour le reste de l’avant-midi.

— Beau Carlo ! fit la jeune fille, en caressant le chien. Mais tu m’as abandonnée maintenant ; tu as élu domicile sur le deuxième pont, parait-il ?

Le chien se mit à frétiller de la queue et à aboyer, puis, après avoir présenté sa patte à sa jeune maîtresse, on put l’entendre geindre tout bas. Soudain, il se leva et se dirigea vers l’escalier conduisant au deuxième pont, se retournant, d’instant en instant, comme pour les inviter tous à le suivre.

— C’est assez étrange ! s’écria Nilka. Carlo a l’air de nous demander de le suivre…

— Carlo tout le temps veut Koulina le sui-