Aller au contenu

Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
LE BRACELET DE FER

vre, intervint la Sauvagesse. Koulina peur, peur de Carlo.

— Pourquoi ne suivrions-nous pas le chien, Nilka ? demanda Paul.

— Je… Je ne sais pas… J’ai… j’ai peur ! balbutia-t-elle.

— Peur, ma bien-aimée ?… En ma compagnie ?… Non, n’est-ce pas ?… Venez, ma chérie ! dit Paul.

Tous deux commencèrent à monter l’escalier ; Carlo, voyant qu’on le suivait, se mit à bondir, de marche en marche, en aboyant joyeusement.

Arrivés sur le pont, Nilka et Paul furent très étonnés de voir le chien se diriger vers la cabine No 6 et gratter la porte avec ses pattes, tandis qu’il geignait tout bas ; on eut dit qu’il se plaignait plutôt, les yeux de Carlo semblaient implorer ceux qui, ébahis, le regardaient faire.

Le jeune homme colla son oreille sur la serrure de la porte de la cabine No 6, puis, se tournant du côté de sa fiancée, il dit :

— Il y a là certainement un être humain… Je dirai plus, un être souffrant. J’entends une respiration légèrement sifflante, d’ici.

— Mais, Paul, c’est impossible, impossible ! cria Nilka. Ouvrez la porte, ajouta-t-elle ; les portes des cabines ne sont jamais fermées à clef.

— La porte de la cabine No 6 est fermée à clef, pourtant, ma chérie !

— Non ! Non ! vous n’avez qu’à tourner la poignée, assura la jeune fille, en essayant elle-même d’ouvrir la porte. Ah !… reprit-elle, une sorte de frayeur dans les yeux.

Paul venait de saisir un outil quelconque, qu’il prit sur l’établi de Joël, et après quelques manipulations, il eut la satisfaction d’entendre tomber, sur le plancher de la cabine No 6, la clef qui avait été dans la serrure. La porte ouvrait sur le pont ; il ne restait plus au jeune homme qu’à la tirer vers lui.

— Paul, murmura Nilka, j’ai peur !

— Non ! Non ! Vous n’avez qu’à tourner la poignée

Elle saisit le bras de son fiancé, puis elle lui dit :

— Ouvrez, Paul ! Je ne crains rien, puisque vous êtes là ! S’il y a un être vivant dans cette cabine…

Elle n’eut pas le temps de compléter sa phrase. La porte de la cabine No 6 venait d’être ouverte…

Un cri d’étonnement et de compassion s’échappa de la bouche des deux jeunes gens, car ils venaient d’apercevoir, sur le lit étroit de la cabine, une forme humaine… Une femme… Une femme aux cheveux blancs comme la neige, au visage blanc comme ses cheveux. Cette femme paraissait respirer avec beaucoup de difficulté.

— C’est la Dame des Brumes ; c’est elle qui hante L’Épave ! murmura Nilka.

Les yeux de l’étrangère s’ouvrirent tout grands et ils se fixèrent sur les deux jeunes gens, puis, soupirant, elle posa sa main sur la tête de Carlo.

Peut-être que, dans les circonstances, les premières questions à poser auraient dû être : « Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Comment se fait-il que vous êtes sur ce bateau ? » Mais ce n’est pas ainsi que débuta la conversation entre Paul et l’inconnue.

— Vous êtes malade ? Vous souffrez ? demanda-t-il.

— Oui, répondit-elle. Les poumons… J’ai peine à respirer aussi…

Durant sa vie aventureuse, Paul avait, forcément, appris un peu de médecine ; il pouvait assez bien diagnostiquer une maladie ; il comprenait les battements du pouls ; il pouvait déterminer assez facilement le degré de fièvre qu’avait un malade. Donc, ayant examiné superficiellement l’étrangère, il lui dit :

— Nous allons vous descendre sur le premier pont ; les cabines y sont plus grandes, plus confortables que celle-ci ; de plus, grâce au poêle de la salle à manger, la température y est plus égale… Vous avez pris froid, Madame ; mais nous allons vous soigner de notre mieux, en attendant que j’aille chercher le médecin de Roberval ; ce que je ferai cet après-midi même.

— Je ne veux pas… vous causer… d’ennuis… vous… obliger de me soigner, murmura péniblement la malade.

— Je vous soignerai, moi, Madame, intervint Nilka, et au son de cette voix, l’étrangère sourit. Aussitôt que Joël, notre domestique, sera de retour, nous… Ah ! s’interrompit-elle. Le voilà Joël, je crois ! Oui, c’est bien lui ! ajouta-t-elle, après avoir prêté l’oreille à ce qui se disait, en bas.

Elle sortit de la cabine, et Paul la suivit.

— C’est un commencement d’inflammation des poumons qu’elle a, dit-il tout bas. Son état requiert des soins immédiats. Que Koulina prépare un cataplasme de graine de lin, qui devra être appliqué sur la poitrine de la malade, aussitôt que possible, n’est-ce pas, ma Nilka ?

— Je vais m’en occuper, sans retard, Paul. Cette pauvre femme !

Quand Joël aperçut Paul, il ouvrit des yeux étonnés, car il le reconnut immédiatement pour ce jeune homme à qui il était allé dire sa façon de penser, certain soir, à Québec. Et ce monsieur était Paul Fiermont, l’héritier de M. Delmas Fiermont, le défunt millionnaire ; Paul Fiermont, le propriétaire du « château », celui aussi de L’Épave. Paul Fiermont, qui avait arraché la chère petite Mlle Nilka de la plus épouvantable des morts ; Paul Fiermont, le fiancé de sa jeune maîtresse. Alexandre Lhorians, avait, en quelques mots, mis son domestique au courant de la situation.

Eh ! bien, Joël n’avait rien à dire ; il n’avait pas même le droit de trouver à redire ; un domestique n’a rien à voir aux affaires de son maître.

— Seulement, j’aimerais à connaître la provenance de ce bracelet de fer que M. Fiermont porte à son poignet gauche, pensait Joël. Je sais que M. Paul Fiermont a mené une vie aventureuse, pendant plusieurs années… De quelle prison s’est-il échappé ? Enfin, d’où vient ce bracelet de fer ?… Je donnerais… la fortune… que je ne possède pas pour le savoir. Ma foi, quand je devrais le lui demander directement, je saurai à quoi m’en tenir à