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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/117

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LE BRACELET DE FER

ce sujet. Il y va du bonheur de Mlle Nilka d’ailleurs.

La malade fut transportée sur le premier pont et couchée sur le lit de Joël ; celui-ci occuperait la cabine No 6.

Le médecin de Roberval était venu et il était reparti. Il y avait trois jours que la malade était installée dans la chambre de Joël, quand, un après-midi, Nilka alla trouver Paul, qui était à lire dans la salle et lui dit :

— Paul, je ne sais ce qu’a la malade… Elle paraît dormir très profondément ; cependant, elle parle… elle parle, et cela m’effraie un peu de l’entendre.

— C’est le délire qu’elle a, ma chérie, répondit Paul. Ce délire c’est plutôt un bon signe ; dans quelques jours maintenant, notre malade sera en bonne voie de guérison. Mais, venez avec moi, Nilka, voulez-vous ? Nous allons nous rendre auprès de la malade.

Oui, elle avait le délire. Ainsi que l’avait dit Nilka, la malade parlait, parlait sans cesse. Soudain, un nom qu’elle prononça fit que Paul s’approcha tout près du lit, puis il fit signe à sa fiancée de s’asseoir près de lui.

— Tu dis, Candide, que Bernard, mon pauvre petit frère est mort ?… balbutiait la malade. Ah ! pauvre, pauvre Bernard !… Oui, je retourne à La Maisonnette ; pourquoi pas ?… Mon mari me pardonnera, je le sais, d’être partie sans sa permission… Il est si bon mon Delmas !… Cher, cher Delmas !… Je l’aime tant !… Et lui aussi, il m’aime… Oh ! Candide, je veux te lire ce billet, que j’ai trouvé, à La Maisonnette… Que c’est affreux !… Delmas, mon mari… il m’a abandonnée !… Écoute, Candide ; il m’écrit : « Tu m’as préféré ton frère, Annine… Adieu !… » Oui, je l’avoue, je suis retournée à La Maisonnette, et j’y ai laissé une lettre, à l’adresse de Delmas, mon mari… Je lui dis que nous avons un fils… Il va être si, si content, tu sais, Candide !… Et il me pardonnera, bien sûr !… Ça va lui faire tant plaisir, à Delmas, de savoir que j’ai nommé notre fils « Paul »… Delmas aimait tant ce nom !… Vois donc s’il est éveillé mon bébé chéri, ce soir, Candide… Mon petit Paul bien-aimé !… Est-il de plus bel enfant au monde que mon Paul ?… Il ressemble à mon pauvre petit frère Bernard ; ne trouves-tu pas, Candide ?… Il dort… Je vais le coucher dans son berceau mon bébé chéri, puis nous irons dans la cuisine terminer l’ouvrage que nous y avions commencé… Mais, ferme bien la porte, Candide, afin qu’aucun bruit n’éveille mon cher petit trésor… Ah ! Ah !… Mon Paul !… Mon bébé chéri !… Mon enfant bien-aimé !… Il n’est plus dans son berceau !… On me l’a volé !…

Avec un cri désespéré, la pauvre malade retomba sur ses oreillers.

Paul était pâle, jusqu’aux lèvres. Nilka, non moins pâle que lui, avait posé sa tête sur l’épaule du jeune homme ; elle pleurait.

— C’est ma mère ! murmura Paul, en désignant la malade. C’est elle ! Pauvre mère ! Pauvre abandonnée !

— C’est elle, il n’y a pas de doute ! répondit Nilka, d’une voix émue. Comme elle a souffert, la pauvre malheureuse !

— Nous l’emmènerons au « château », n’est-ce pas, ma Nilka ?

— Oui, mon Paul. Nous l’emmènerons au « château » et nous l’entourerons de bons soins et de tendresses. Nous la rendrons si heureuse qu’elle finira par oublier les épreuves qu’elle a eu à subir… Oh ! que je vais l’aimer votre mère, Paul !

— Cher ange bien-aimé ! s’écria le jeune homme, en pressant sa fiancée dans ses bras. Elle aussi va vous aimer, je sais ; qui pourrait s’en empêcher d’ailleurs ?

— Et vous dites, Paul, que c’est un bon signe ces crises de délire ?

— Assurément, oui, Nilka ! Je le prédis, dans quelques jours, la malade (ma mère, Nilka) ! pourra s’asseoir sur son lit ou dans un fauteuil, et, avant une quinzaine, elle sera devenue une intéressante convalescente.

Les prédictions de notre jeune ami s’accomplirent. Au bout de quelques jours, Mme Fiermont (donnons-lui tout de suite le nom qui lui appartient) était en pleine voie de guérison.

Chapitre X

UN RÉCIT DOULOUREUX


Paul Fiermont n’avait pas tout à fait élu domicile sur L’Épave ; mais il y venait presque tous les jours. Le médecin avait discontinué ses visite régulières, considérant la malade en pleine convalescence. Nilka, tout en donnant ses soins à Mme Fiermont, travaillait à son trousseau, avec l’aide de Koulina. Alexandre Lhorians, comme toujours, était tout à sa manie. Joël, sombre et préoccupé, réparait, sur le deuxième pont, dans son atelier, une des chaloupes de L’Épave.

Un jour, lorsque Paul arriva sur L’Épave, Nilka lui dit :

— Paul, ne pensez-vous pas qu’il serait temps que vous vous fassiez connaître à votre mère ? Je crois que rien ne saurait plus contribuer à sa parfaite guérison comme de savoir que son fils est vivant.

— Peut-être avez-vous raison, ma chérie, répondit-il, et si ma mère est capable de me recevoir, j’irai immédiatement lui rendre visite.

— Elle vous recevra, bien sûr, Paul ; elle est assise sur un fauteuil, dans sa chambre. Je viens de causer avec elle.

— J’y vais alors. Venez-vous avec moi, Nilka ?

Mais la jeune fille refusa d’accompagner son fiancé et d’être témoin de cette première entrevue entre la mère et le fils ; cette entrevue aurait quelque chose de sacrée, se disait-elle.

— J’irai vous rejoindre… plus tard, promit-elle. Allez, mon Paul.

Paul se dirigea vers la chambre de sa mère, et une longue demi-heure s’écoula avant qu’il en sortit. Se dirigeant vers sa fiancée, il lui dit gravement :

— Venez, ma bien-aimée ; ma mère vous attend.

Mme Fiermont avait pleuré, c’était évident ; Nilka avait remarqué aussi que les yeux de son fiancé étaient un peu rougis. La malade