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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/14

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LE BRACELET DE FER

loigner du rivage, la gomme n’avait pas adhéré. Sachant que la lettre le concernait personnellement, il ne se fit pas scrupule de la lire.

Le Docteur Shade écrivait qu’il regrettait de voir partir M. Flax, d’autant plus qu’il considérait qu’il n’était pas encore tout à fait remis de la prostration nerveuse dont il avait souffert. Le médecin désirait avertir qui de droit d’une chose : c’est que le policier Flax avait (temporairement du moins) perdu la mémoire. Sans doute, la mémoire lui reviendrait, avec le temps ; mais, pour le moment, il ne paraissait pas se souvenir de ce qui s’était passé, même quelques mois auparavant.

« Je lui ai parlé de certains incidents qui ont eu lieu au Cap Hurd, en différents temps, écrivait le Docteur Shade, et M. Flax n’a pas eu l’air de s’en souvenir. Une prostration nerveuse laisse presque toujours des traces, et la perte de la mémoire est, plus souvent qu’autrement, le résultat de cette maladie ».

La lettre était longue, et Paul, en la lisant, se sentit fort rassuré. Comme il venait au Cap Hurd pour la première fois de sa vie, on serait sûr de parler devant lui d’évènements qui lui étaient parfaitement inconnus ; de là, des complications, des soupçons, puis des recherches, puis la découverte de la vérité.

Mais la lettre du médecin allait préparer les habitants du Cap Hurd à trouver le policier Flax presque totalement changé. Cette missive était donc un document fort précieux, et Paul la recacheta avec soin, avant de se mettre au lit, ce soir-là.

Le Docteur Shade ayant pavé le chemin de Paul, pour ainsi dire, tout se passa à sa satisfaction, et quand, un mois après son arrivée au Cap Hurd, il démissionna comme policier, on accepta sa démission avec soulagement, car on le considérait incapable de remplir ses devoirs. Puis, un jour, il annonça qu’il allait partir pour le Nord-Ouest… mais, qu’auparavant, il parcourrait les dunes, le goût lui en étant venu, à y cheminer avec son prisonnier Paul Fairmount.

Une nuit, il partit, se dirigeant, en effet, vers les dunes, non pas parce qu’il y avait pris goût, mais afin de ne laisser aucune trace de la direction qu’il allait prendre ; car il désirait atteindre un établissement, à une distance de trente-cinq milles du Cap Hurd, où passait la voie ferrée.

Depuis trois jours, Paul cheminait à travers les dunes, quand, un soir, alors qu’il s’était installé pour camper et passer la nuit, sous quelques maigres arbustes, il vit venir vers lui un jeune homme couvert de haillons. C’était un individu de haute taille, pâle, hâve même, et qui paraissait se traîner, plutôt que marcher, sur le sable.

— Monsieur, dit-il, en s’adressant à Paul, tandis que ses yeux dévoraient la miche de pain que notre ami tenait à la main, j’ai bien faim !

— Asseyez-vous auprès de moi, mon ami, et mangez, répondit Paul ; il y a, dans mon havre-sac, amples provisions pour deux.

— Je vous remercie, Monsieur, fit le jeune étranger, lorsqu’il eut mangé à sa faim. Je me rends au prochain établissement, pour y chercher de l’ouvrage. Est-ce loin encore ?

— À dix milles à peu près… Moi aussi, je me rends au prochain établissement, dit Paul ; si vous le désirez, nous ferons route ensemble.

— Je regrette d’avoir à refuser votre offre, répondit le jeune homme en se levant pour partir : mais je veux arriver à destination le plus tôt possible… Adieu… et merci !

— Attendez ! fit Paul. Personne ne voudra vous engager, vêtu en haillons comme vous l’êtes. Tenez, revêtez cet habit, ajouta-t-il, en retirant un complet brun d’une petite valise.

L’étranger ne se le fit pas répéter : il endossa le complet brun, et bientôt, il partait, emportant aussi quelques provisions de bouche et un peu d’argent.

Paul se dit qu’il ne reverrait plus ce compagnon d’une heure… Pourtant il se trompait. Le lendemain après-midi, alors qu’il cheminait sur les bords du lac Huron, il vit, d’assez loin, quelqu’un couché sur le sol, et qui paraissait dormir. S’étant approché de plus près, il reconnut son complet brun.

— Quelle imprudence de se coucher ainsi, en plein soleil ! se dit-il. Oui, c’est le jeune homme d’hier soir… Pauvre garçon ! Je vais l’éveiller, car il prendrait, à dormir ainsi sur le sable, un coup de soleil qui pourrait lui être fatal.

Mais le soleil trop ardent n’affecterait plus le jeune étranger maintenant, car il