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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/59

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LE BRACELET DE FER

— Oh ! Quelle splendide chambre !… Et ces oiseaux bleus…

— Je suis contente que vous aimiez les pièces que je mets à votre disposition, Mlle Lhorians, dit Mlle Fiermont. Il y a aussi un petit boudoir attenant à cette chambre ; voyez !

— Je serai logée comme une duchesse ! fit la jeune fille. Mademoiselle, ajouta-t-elle, en s’adressant à Mlle Fiermont et tandis que ses yeux se mouillaient de larmes de reconnaissance, c’est infiniment trop de bonté de nous recevoir ainsi !… Mon père est venu ici pour réparer une horloge, et vous me traitez comme si j’étais… comme si j’étais… une invitée !

— Chère petite, répondit Mlle Fiermont, je vous ai aimée, en vous apercevant, tout à l’heure, et je tiens à ce que vous jouissiez pleinement de votre séjour sous ce toit : voilà !

— Merci ! Oh ! merci, chère Mademoiselle ! s’écria la jeune fille.

— Ça me fait bien plaisir que vous aimiez tant ces pièces…

— Les aimer !…

Une vision passa devant les yeux de Nilka : celle de sa minuscule chambrette, à Québec, dans la rue C…, et, malgré elle, elle sourit.

— J’espère que M. Lhorians sera satisfait, lui aussi. Sa chambre est voisine du Musée, dont il pourra faire son cabinet de travail, s’il le désire.

— Merci ! Oh ! merci, Mademoiselle ! Vous êtes infiniment bonne ! fit la jeune fille.

— Du moment que vous êtes satisfaite, ma chère enfant… commença Mlle Fiermont.

— Satisfaite ? Comment ne le serais-je pas ? J’étais si loin de m’attendre à une telle réception, à tant de délicate bonté ! Et savez-vous, Mademoiselle, ces oiseaux bleus peints sur la tapisserie… c’est une si singulière coïncidence !

— Une coïncidence, dites-vous, mon enfant ?

— Oui. À Québec, on me nomme « l’Oiseau Bleu », parce que je suis toujours vêtue de bleu, et aussi parce que je chante dans un Café Chantant. Comme on ignore mon véritable nom, on ne me désigne pas autrement que l’Oiseau Bleu.

— Vraiment ? fit la vieille demoiselle, en simulant parfaitement la surprise. Eh ! Mais ! L’Oiseau Bleu, c’est un fort joli nom, Mlle Lhorians !

— Ô Mademoiselle, dit Nilka, si vous vouliez mettre le comble à vos bontés en m’appelant Nilka, et non Mlle Lhorians !

— Avec plaisir, Nilka, répondit Mlle Fiermont en souriant. D’ailleurs, Nilka c’est un si joli nom, si rare, si… mélodieux, si je puis m’exprimer ainsi, que je serai heureuse de vous le donner.

— C’était le nom de ma mère… murmura la jeune fille. Merci, Mademoiselle, de vous rendre à mon désir, merci !

— Qu’elle est charmante et belle cette enfant ! se disait Mlle Fiermont, le soir de l’arrivée des Lhorians au « château ». Il n’est pas du tout étonnant que Paul l’aime éperdument la gentille Nilka !

Alexandre Lhorians et sa fille furent douze jours au « château », et ces douze jours furent remplis de joies de toutes sortes pour Nilka ; pour Mlle Fiermont aussi, car elle avait tout de suite aimé excessivement la jeune fille. « Tante Berthe » avait fait de la jeune chanteuse du Café Chantant sa compagne de chaque instant. L’avant-midi, toutes deux se retiraient dans la bibliothèque ; elles lisaient, écrivaient, ou faisaient quelque ouvrage à l’aiguille. Après le repas du midi, elles se promenaient sur la terrasse un peu, ou bien elles allaient faire une longue excursion en voiture, dans les environs. La veillée se passait dans le salon. Nilka jouait du piano et chantait pour la vieille demoiselle, et celle-ci ne se lassait pas d’écouter la voix de l’Oiseau Bleu. Ou bien, ces deux personnes, malgré leur différence d’âge, causaient ensemble, comme de vieilles amies, Mlle Fiermont parlant de son cher « neveu » Paul, le modèle des jeunes gens, le parfait gentilhomme, qui s’était montré envers elle si délicat et si bon. Nilka parlait de ses simples expériences de jeune fille, du genre de vie qu’elle menait, à Québec, entre son père et Joël, leur ancien domestique, maintenant aide-joaillier et ami dévoué, s’il en était un au monde. Ces causeries duraient jusqu’à dix heures précises, heure à laquelle Mlle Fiermont se retirait pour la nuit. Alors, Nilka, seule dans les belles et confortables pièces qu’on avait mises à sa disposition, s’installait dans son boudoir et s’amusait à sa guise, soit à lire, soit à écrire, soit à broder, jusqu’à ce que, prise de sommeil, elle se couchait, pour rêver… sait-on toujours ce à quoi rêvent les jeunes filles ?…

Nilka était aimée de tous, au « château ». La ménagère, Mme Jacquin disait, un jour, à Prosper :

— Quel malheur que M. Paul soit absent, hein, Prosper ?… Lorsqu’il apprendra que M. et Mlle Lhorians sont venus ici, il regrettera de n’avoir pas été présent pour les recevoir, bien sûr !

— Vous l’avez dit, Mme Jacquin ! avait répondu Prosper. Elle est bien belle et bien gentille Mlle Lhorians ! Elle a un sourire pour tous, et c’est un vrai plaisir de la servir.

— Et pas du tout exigeante, avec cela, la chère petite demoiselle ! L’autre jour, quand je lui ai monté son déjeuner dans sa chambre, parce qu’elle souffrait d’un léger mal de tête et ne pouvait pas descendre dans la salle à manger, elle m’a dit : « Oh ! Pourquoi vous être donnée toute cette peine pour moi ? vous qui avez tant à faire déjà, pauvre Mme Jacquin ! »

— Ma foi ! s’écria Prosper, je crois bien que c’est un ange Mlle Lhorians, Mme Jacquin !

— Je le crois bien, moi aussi, Prosper ; Mlle Lhorians est, en effet, un ange !

Quant à Alexandre Lhorians, il passait tout son temps dans le Musée ; on ne le voyait qu’aux heures des repas. C’est en vain que Mlle Fiermont l’avait invité de se joindre à elle et à Nilka, dans leurs promenades en voiture, ou à partager d’autres de leurs amusements.

— Merci, Mademoiselle Fiermont, répondait-il, invariablement. Je suis venu ici pour travailler, et d’ailleurs, le travail que je fais m’intéresse grandement. Vous avez, dans ce