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Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/68

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LE BRACELET DE FER

quelle se voit en grosses lettres noires, un nom : L’Épave. Et, là-bas, tout là-bas, est un point, vers lequel se dirigent souvent les yeux de Nilka, tandis qu’un léger soupir s’échappe de sa poitrine ; c’est L’Épave, son home, dorénavant, L’Épave, le bateau, qu’elle n’a pas vu encore, mais dont Joël lui a quelque peu parlé, car le domestique avait dû y faire plus d’un voyage, pour y transporter leurs bagages.

Couché aux pieds de Nilka, est un énorme chien St-Bernard. De temps à autre, le chien va se jeter à l’eau, mais il revient aussitôt se placer auprès de la jeune fille.

— Beau Carlo ! Bon Carlo ! dit-elle, en flattant l’énorme bête, qui frétille de la queue, en signe de contentement. Tu vas donc venir vivre avec nous sur L’Épave ?

— Vous aimerez à avoir Carlo avec vous, Mlle Lhorians, dit Mme Brisant, en souriant à Nilka. Carlo est un brave chien, un bon gardien… de plus, il sera un compagnon pour vous, sur L’Épave, là-bas.

— J’aime beaucoup les chiens, vous savez, Mme Brisant, répondit Nilka. J’aime aussi les oiseaux, ajouta-t-elle en souriant et en désignant deux cages dorées, dont chacune contenait un superbe canari.

M. Fiermont a beaucoup insisté pour que je vous demande de vous charger du chien et des oiseaux, Mademoiselle, dit Raphaël Brisant. Quant à Carlo… ma femme vous dira que c’est un chien… singulier, ajouta-t-il, en riant d’un grand cœur.

— C’est vrai que Carlo a d’étranges allures parfois ! intervint Mme Brisant. Le croiriez-vous, Mlle Lhorians ? Carlo se rend assez souvent, jusqu’à L’Épave, d’ici, à la nage.

— Il nage jusqu’à L’Épave, dites-vous ! s’écria Nilka. Une distance de quatre milles ! C’est presqu’incroyable !

— C’est vrai pourtant ! Il disparaît, pendant deux ou trois jours souvent. La première fois que ça lui est arrivé de disparaître ainsi, nous étions très inquiets, mon mari et moi ; mais, maintenant, nous savons où il va : à L’Épave, toujours à L’Épave !

— Que peut-il bien faire sur ce bateau perdu au milieu de cet immense lac ? demanda Nilka.

— Ah ! Cela, je ne le sais pas, Mlle Lhorians… Mais, j’ai voulu vous en avertir. Pour le cas où Carlo disparaîtrait de L’Épave, à un moment donné, il ne faudra pas que vous soyez inquiète ; il viendra probablement nous rendre visite, de temps à autre, vous savez ! dit, en riant, Mme Brisant.

— Il est temps de partir, je crois, fit, soudain, Alexandre Lhorians. Viens, Nilka !

— Je suis prête à vous suivre, père.

— Madame, reprit l’horloger, en s’inclinant profondément devant Mme Brisant, je désire vous renouveler mes remercîments pour votre si généreuse hospitalité !

— Il nous a été très agréable, à mon mari et à moi, de vous recevoir, M. Lhorians, répondit Mme Brisant.

— Au revoir, alors, Madame !

— Au revoir, M. Lhorians !

— Au revoir, Mme Brisant ! fit Nilka, en se suspendant au cou de la brave femme et essayant de retenir ses larmes. Au revoir, et merci !

— Revenez nous voir, Mlle Lhorians, dit Raphaël Brisant.

— Oui, revenez ! ajouta sa femme. Tous, vous serez les mille et mille fois bienvenus toujours.

Encore une fois, Nilka se jeta dans les bras de l’excellente femme.

— Chère Mme Brisant ! fit-elle. Vous avez été si vraiment bonne pour moi ! Qu’il m’en coûte de vous quitter !… Mais vous viendrez nous rendre visite, à L’Épave, n’est-ce pas, vous et M. Brisant ?

— Nous irons bien sûr ! promit Mme Brisant. Je disais à mon homme, hier, que, si je n’avais pas été si occupée à travailler dans mon jardin, de ce temps-ci, je serais allée vous aider à vous installer dans votre nouvelle demeure.

— Merci ! Merci ! Quel grand cœur vous avez, chère Mme Brisant !

— Pauvre petite ! murmura Mme Brisant, sans à propos apparent.

— Pourquoi plains-tu Mlle Lhorians, Cédulie ? lui demanda son mari. L’Épave est un confortable bateau et fera une agréable demeure ; je suis certain que Mlle Lhorians s’y plaira beaucoup.

— La solitude… balbutia Nilka, qui pâlit légèrement, car, le moment de partir étant venu, elle se sentait envahie d’une inexplicable tristesse.

— Eh ! bien, Nilka ! fit alors Alexandre Lhorians. N’est-il pas temps de partir ?

Il avait bien hâte d’être rendu à L’Épave ; la raison en étant que son horloge de cathédrale y avait été transportée, par Joël, la veille, et déjà ce toqué s’ennuyait de ce… jouet compliqué.

Tous trois prirent bientôt place dans la chaloupe qui, aussitôt, démarra. Carlo s’était installé aux pieds de Nilka ; mais à peine Joël eut-il donné quelques coups d’aviron que le chien sauta à l’eau et se mit à nager avec vigueur dans la direction de L’Épave.

Longtemps, les époux Brisant restèrent sur le rivage, à regarder s’éloigner la chaloupe. Des larmes coulaient sur les joues de la femme.

— Qu’as-tu à pleurer, Cédulie ? lui demanda son mari.

— Je pense à la vie que va mener cette jeune fille, là-bas… sur ce bateau, ancré au milieu du lac…

— Ça ne sera pas gai, je l’avoue ! fit Raphaël Brisant. Mais, que veux-tu, femme ! D’ailleurs, Mlle Lhorians nous a dit elle-même qu’elle considérait qu’ils avaient été excessivement chanceux d’avoir pu obtenir, pour M. Lhorians, la garde de L’Épave.

— Je sais ! Je sais ! répondit Mme Brisant. Cependant, tu n’es pas sans savoir, Raphaël, que L’Épave a une réputation… étrange…

— Allons ! Allons ! Sornettes que tout cela ! s’écria Raphaël Brisant.

— Sornettes, dis-tu ?…

— Oui, je le répète, Cédulie, sornettes !

— Alors, pourquoi les barques de pêcheurs, ainsi que les pirogues des Sauvages fuient-elles L’Épave ?