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Page:Lafenestre - Molière, 1909.djvu/168

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MOLIÈRE.

thique ou répulsive qui s’en dégage. J.-J. Rousseau, plus calviniste qu’il ne pense, et dont le sentimentalisme sophistique, si indulgent pour les dépravations réelles, n’a jamais pu comprendre ni l’ironique jovialité gauloise, ni l’esprit et l’enjouement français, considère l’Avare comme « une école de mauvaises mœurs ». Cléante, en effet, semble un fils fort indélicat, puisqu’il finit par voler son père et lui répondre avec la plus irrespectueuse insolence. Jean-Jacques ne peut le lui pardonner. Il ne voit donc pas que cet oubli de ses devoirs, que ce désordre de paroles et de conduite, chez le fils, sont les conséquences mêmes de la situation scandaleuse et inextricable dans laquelle l’ont acculé tous les vices de son père, toutes les pratiques honteuses de ce vieillard lubrique, avide, hypocrite, menteur, son rival et son usurier. Il prend au sérieux, dans leur échange orageux de reproches mérités, le mot de la fin, cette plaisanterie énorme et inattendue par laquelle Molière, suivant sa coutume invariable, arrête à temps l’émotion du spectateur, avant qu’elle tourne au tragique, pour lui rappeler qu’il vaut mieux rire. Lorsque Harpagon, à bout de récriminations, d’insultes et de menaces, après avoir déclaré à son fils qu’il lui défend sa maison, qu’il l’abandonne, qu’il le déshérite, ajoute enfin : « Et je te donne ma malédiction », qu’est-ce que la brusque riposte de Cléante : « Je n’ai que faire de vos dons ? » Sans nul doute, une de ces exagérations ironiques de langage qui échappent à un homme exaspéré, et qui, par l’excès même de leur drôlerie, ramènent leur entourage et parfois eux--