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Page:Laforgue - Œuvres complètes, t6, 1930.djvu/122

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ŒUVRES COMPLÈTES DE JULES LAFORGUE

Dès que la cour a ouvert le bal, un quart du public, celui qui se propose de danser ferme jusqu’au matin, comme on danse à Berlin et à Vienne, s’est précipité vers le foyer où l’on a installé un buffet et des tables. En un instant, elles sont toutes prises. On ne soupe pas précisément, on ne peut guère se faire servir que des huîtres, du homard, un beefsteack et du champagne, ce qui est très berlinois.

Rien d’amusant comme de circuler entre ces tables, de perdre la notion du goût à travers cette orgie de toilettes, d’écouter ces bavardages sur l’empereur et sa cour et de se donner une petite fois encore le spectacle de la tenue allemande à table.

Au fond de la salle, derrière la scène, est installée l’inévitable buvette à bière. Les épaules décolletées, les uniformes, les habits noirs y font queue : la buvette ne désemplit pas. Quelques-uns entrent en souriant de l’air de dire : « si nous nous encanaillions ? » mais semblent, en sortant, plutôt malheureux de n’avoir pas osé « renouveler ». Cette affectation de mépriser parfois la bière, par bon ton, n’est pas rare. Les Allemands ne se déferont jamais absolument de leurs préjugés français.