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Page:Laforgue - Œuvres complètes, t6, 1930.djvu/184

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ŒUVRES COMPLÈTES DE JULES LAFORGUE

est fait de vingt petites horreurs qui prennent place « entre l’assiette et les lèvres », et cela se termine par la grossière manie de cacher sa bouche d’une main, tandis que de l’autre il se cure les dents.

J’ai peur de pousser à la caricature, mais je ne puis oublier un brave Allemand de bonne bourgeoisie habitué de ce restaurant. Je le vois, énorme et blond avec ses lunettes, manger, le nez dans son assiette comme ces pâtres du Brutium dont parle Flaubert, couper chaque bouchée de pain, du couteau, prendre sa bouteille par la panse (et de quels cinq doigts !), lever son verre de Moselle et le regarder à la lumière, y tremper d’abord la lèvre, boire avec componction, puis se rejeter sur le dossier de son siège et caresser sa barbe informe.

On fume à toute heure dans un restaurant. Dès que le restaurant ouvre, vous pouvez venir expédier votre dîner, puis enfumer la pièce où vous vous trouvez, à l’intention des clients qui vont arriver. Il y a immuablement sur la table à laquelle vous vous asseyez, à côté de la corbeille de petits pains et des cure-dents de buis, la boîte d’allumettes enchâssée dans un cendrier de fonte.