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Page:Laforgue - Œuvres complètes, t6, 1930.djvu/219

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UNE VENGEANCE À BERLIN

prit l’avenue des Tilleuls. Le ciel était d’un bleu polaire ; la neige couvrait tout comme depuis des temps préhistoriques. Des traîneaux revenaient du bois dans un tintement de grelots ; en traîneaux aussi s’étaient transformés les fiacres, remplaçant leurs roues par les longs patins d’acier.

C’était toujours l’avenue des Tilleuls que Jean avait connue deux ans auparavant, lors de son année supplémentaire au Conservatoire. C’était, sous ce ciel tendu de la toile d’araignée de mille fils téléphoniques, le même public de militaires poseurs, le monocle à l’œil, se saluant comme à la parade, de flâneurs grotesquement élégants, d’ouvriers en redingotes crasseuses, de familles promenant des petites filles à tresses blondes et des garçons en hussards rouges, d’étudiants à casquettes minuscules, et bien pommadés. Midi est l’heure culminante sous les Tilleuls, et Jean n’eut rien de mieux à faire qu’à se mêler à la foule stationnant devant le Palais pour voir passer la garde ; et la garde passa, musique en tête, jouant un air de Carmen ; et la foule acclama, comme chaque jour à cette heure, l’empereur qui se mettait à la fenêtre pour saluer sa bonne garde…