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Page:Laforgue - Œuvres complètes, t6, 1930.djvu/42

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ŒUVRES COMPLÈTES DE JULES LAFORGUE

écrit une Phèdre pour Sarah Bernhardt, se promène en tenue de général, lent, bouffi, les chairs malsaines. Sa voiture le suit, très haute sur ressorts, mollement balancée. Le prince s’arrête aux vitrines. Il entre dans les magasins et surtout, et carrément, dans ceux de la Friedrichstrasse où l’on vend toute espèce de photographies. Quand il est las, il fait signe à sa voiture qui vient se ranger ; le valet de pied lui tend son manteau de général à parements rouges, il monte, au milieu des badauds, et repart, mollement balancé, vers ses mœurs.

L’Opéra et la Comédie appartiennent à l’empereur. Avant de faire l’affiche, on consulte le souverain. S’il a désigné une pièce, l’affiche porte en tête Auf allerhöchsten Befehl, « par ordre souverain » ; si c’est le prince héritier qui a désigné une pièce, l’affiche porte seulement Auf höchsten Befehl. Aux jours de parade militaire, le public est à peu près chassé de l’Opéra : l’empereur livre les trois quarts des places à l’armée et lui fait servir un ballet monstre. Frédéric le Grand postait un grenadier à côté des chanteuses récalcitrantes et les forçait ainsi à s’exécuter. Il y a un an, la chanteuse la plus artiste de l’Opéra, Mlle Lehmann, à la suite d’un