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Page:Laforgue - Œuvres complètes, t6, 1930.djvu/61

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BERLIN. LA COUR ET LA VILLE

il ne s’est pas écarté de la bonne vie bourgeoise de ses années d’adolescence et de pauvreté. Le voici arrivé, sans autre maladie que la vieillesse, à la majesté de ses quatre-vingt-dix ans, débordant de la foi que la Providence a encore besoin de lui et qu’il est vraiment en Europe le bon pasteur des peuples, dispensateur de la paix.

Quand on est présenté à Sa Majesté, son premier coup d’œil est pour vous toiser : fantassin ? hussard ? dragon ? semble rêver machinalement ce coup d’œil. On a devant soi un superbe cuirassier, correctement sanglé dans un uniforme noir à parements rouges, nullement déformé par l’âge, à peine voûté. Le public berlinois croit volontiers que le souverain ne se maintient si droit que grâce à quelque corset-cuirasse. L’empereur ne porte rien de ce genre : sa seule cuirasse est l’habitude presque séculaire de la parade et de la discipline. La face est extraordinairement parcheminée et ridée, le regard est souffrant, mais la bouche sourit et c’est d’un geste, ni trop cavalier ni trop sénile, que le vieux militaire retrousse, en parlant, les crocs de ses moustaches blanches.

L’empereur ne parle que par courtes phrases,